Jacques Clerc, installé depuis des lustres à Crest (Drôme) est un artiste-poète. Une exposition présente, à Grignan, en trois salles, son travail. Un travail inscrit dans le temps qui rend visible la continuité de la recherche : des stèles produites de 1990 à 2016, des estampes de 2006 à 2015, et quelques livres d’artiste du catalogue de sa maison d’édition La Sétérée fondée en 1984.
Jacques Clerc est un artiste poète. S’il avait su manier les mots, il aurait écrit des poèmes. Mais non, sa poésie est d’abord objet : on devine sa main plutôt faite pour l’incision lente de la pointe sur le zinc ou le cuivre, pour la manipulation précautionneuse des feuilles de beau papier, ou celle de la presse ou des caractères au plomb. Mais malgré tout, reviennent les mots, les phrases de poètes, d’écrivains, d’autres artistes, qui investissent ses sculptures : elles sont des stèles dressées, longues - deux mètres trente - et fines - 18 cm de section carrée - où le bois et l’acier s’épousent au point de se confondre.
Ses estampes récentes aussi, presque toujours de format vertical, celles intitulées Composition en surface notamment, sont elles-mêmes gravées sur deux plaques (de zinc ?) dressées côte à côte, comme les pages d’un livre ou comme des stèles. Et la page et la stèle ont ceci en commun de conserver les traces d’un passé disparu, de commémorer un événement, une rencontre.
Les estampes de Jacques Clerc sont belles. Par leur simplicité apparente - des formes géométriques, rectangulaires souvent et légèrement irrégulières -, leurs teintes - un rouge brique d’un velouté inouï, un gris doux, un noir mat qui vire au violet ou au gris selon l’inclinaison et peut-être l’inclination du regard. Leur composition où s’affrontent ordre et désordre, règle et dérèglement devrait-on dire puisque la géométrie n’y est jamais parfaite, produit un équilibre serein.
On reste sans voix, on s’abîme dans une contemplation qui n’a pas d’objet, comme si ces planches parlaient un langage connu de l’âme seule. Les estampes en couleurs - eaux-fortes et aquatintes - de la série Composition en surface notamment (2013-2015), rappellent le travail de Rothko par la manière dont les teintes, peu nombreuses, s’approchent, se marient ; dans l’encadrement noir, les formes de couleurs semblent flotter, et comme manifester une présence. On a songé, en les regardant, à ce titre d’un recueil de Philippe Jaccottet, Paysage avec des figures absentes.
Peut-être faute d’être poète Jacques Clerc s’est-il fait éditeur de livre d’artiste : des artistes illustrent des poètes sous l’impulsion du typographe qu’il est. Artiste et typographe parfois confondus quand il assume les deux rôles : on peut ainsi voir Onze parmi de Jude Stéfan, ou Les Calunes de Jean-Marie Gleize. Et d’autres livres encore où il a rapproché Denise Desautels et Bertrand Dorny, Michel Butor et Henri Maccheroni. Dans le choix des caractères, des formats, des mises en page, c’est la recherche rigoureuse de la perfection qui guide l’éditeur, pour le bonheur d’une lecture d’un autre temps, toute de lenteur et de délicatesse.
Cela se passe à Grignan où va s’ouvrir le festival de la Correspondance, dans l’Espace d’art François-Auguste Ducros : trois salles y présentent le travail de l’artiste (du 18 juin au 4 septembre). On a regretté, pour le néophyte qu’on imagine curieux, l’absence de rappels sommaires sur la fabrication de l’estampe ou du livre. Redire toujours que si l’estampe est un multiple, chaque pièce est unique. Enfin cet « Espace », comme tous les autres, est un lieu sans âme, même s’il est ici consacré à l’art : sans âme mais pas sans bruit, car y résonnent formidablement les voix des hôtesses de l’office de tourisme situé en contre-bas.
Difficile d’entrer en contact visuel avec des oeuvres silencieuses quand un brouhaha sonore de voix en échos agresse les tympans. Mais l’oeuvre de Jacques Clerc y parvient, miraculeusement.
"Jacques Clerc, sculpture parmi les mots", Espace d'art François-Auguste Ducros, Grignan, du 18 juin au 4 septembre.
On verra avec profit le site de l'artiste : http://jacquesclerc.com.
Écrire commentaire