C’est un artiste discret, un artiste presque secret à qui nous avons rendu visite. Un artiste que des ennuis de santé, de plus, ont récemment tenu éloigné du monde.
De sa biographie, on saura que né en 1936 au Liban d’un père français et d’une mère libanaise, il est revenu en France dans les années 1950 avec sa famille, qu’il a suivi les cours des Arts décoratifs de Paris, où il a commencé une carrière d’artiste, peintre et graveur. Des années parisiennes difficiles, au cours desquelles il finit par se tourner résolument vers le dessin et la gravure, spécialement le burin, préféré pour la rigueur qu’il exige. Puis, pour des raisons familiales, c’est l’installation à Lyon en 1976, des expositions personnelles à la Galerie K, tenue par le regretté poète Roger Kowalski, une activité secondaire d’illustrateur.
Modeste, il fait remarquer qu’il a eu de la chance, lui que ses goûts portent vers la figuration, de vivre à une époque, les années 70-90, qui redécouvrait, souvent par l’intermédiaire de la gravure, le souci et la précision du dessin figuratif, autour de ce mouvement qu’on appelle aujourd’hui «l’art visionnaire». C’est à Paris en effet que Christian Robilliard, à ses débuts, rencontre Yves Doaré, Erik Desmazières, Philippe Molhitz, mais aussi Ernst Fuchs, l’artiste autrichien qui vit alors en France et auquel il aime rendre hommage.
Et de fait ses gravures relèvent en partie de ce courant : précision réaliste de la représentation du monde et affirmation de l’imaginaire et du rêve. Ce qui le caractérise, comme souvent les autres, c’est la dualité : ombre et lumière, noir et blanc, dehors et dedans, surface et profondeur. Christian Robilliard dit se reconnaître dans une double ascendance : celle des peintres-graveurs flamands, au gothique tourmenté, presque romantique, et celle, liée à l’enfance, de l’antiquité méditerranéenne retrouvée dans l’art italien des XVème et XVIème siècles.
C’est aussi la précision et la rigueur du dessin, de la ligne lentement tracée sur la plaque d’acier, qui permet les traits les plus fins. On s’étonne devant ces architectures gothiques d’une finesse aérienne, de cette justesse du dessin qui n’est pas sans évoquer Bresdin ou Méryon. Et il n’est pas honteux pour Robilliard comme pour ces « visionnaires » de placer leur travail dans la continuité de la tradition. On ne s’étonne donc pas qu’il montre, dans un livre d’art cueilli sur un fauteuil, une peinture d’un primitif allemand ou de Memling quand il s’agit de justifier telle ou telle partie sombre d’une estampe, telle ou telle déformation d’un corps. Avec de tels compagnonnages, il est étonnant que cet artiste n’ait pas trouvé à Lyon sur le long terme ce public d’amateurs qui ne fait pas défaut à Molhitz, Doaré et à leurs amis.
Cependant ce qui pourrait l’éloigner de ce groupe, c’est la présence obsessionnelle d’une figure féminine au regard lointain, quasi inexpressif, « et qui n’est chaque fois, / Ni tout à fait la même ni tout à fait une autre » comme disait Verlaine dans ce poème intitulé « Mon rêve familier » titre qu’on pourrait donner à l’ensemble des planches de Robilliard, pour rendre compte de ce qu’il y a dans son travail de profondément réaliste et étrange, d’essence surréaliste.
Mais cet artiste qui pourrait apparaître d’un autre temps, démodé pour ainsi dire, s’accorde assez bien pourtant, par la manière dont il travaille et traite sa plaque d’acier et ses papiers, à notre temps post-moderne, où la pratique artistique tente de faire éclater les usages traditionnels pour les mettre en question ou les dépasser. D’abord il faut évoquer ses « variantes », par exemple celles dans lesquelles sur la même feuille de papier épais il imprime deux fois, voire trois, le même sujet, et cela avec des encrages de teintes différentes, opérés sur la plaque même au pinceau et à la peinture à l’huile, et avec des essuyages partiels. Une manière pour lui de s’approprier un monde jamais un que d’en multiplier les images. Ainsi dans cette estampe où figure côte à côte deux fois le même visage énigmatique comme ceux des artistes du Fayoum : l’un dans des tons extrêmement doux, qui rappellent ceux de la fresque, l’autre d’un bleu-vert sombre laissant mieux voir au second plan d’un côté les lignes d’une colonne dorique cannelée d’un côté, de l’autre une ville gothique qu’on pourrait trouver chez Dürer de l’autre.
Cette même planche présente d’ailleurs un autre aspect de la recherche très contemporaine de Robilliard : si l’un des deux visages est imprimé sur une feuille passée sous la presse, l’autre a été imprimé sur une autre feuille de papier très fin collé ensuite sur la feuille principale. On a donc non une plaque d’acier avec deux visages gravés identiques, mais une plaque avec un seul visage, passée deux fois sous la presse avec des papiers différents et des encrages différents. On imagine la lenteur de la création. Il arrive même que deux ou trois papiers très fins se trouvent collés sur le même papier chiffon. Parfois la feuille imprimée est le résultat de tailles faites sur deux ou trois plaques différentes. La « gravure » qu’on tient en mains ne présente aucune cuvette, déconcertant l’amateur. La question alors posée est celle de la nature et de la conception de l’estampe. On admettra enfin qu’imprimer, comme il le fait assez souvent, sur du papier d’emballage d’épicerie ou de boucherie, tinté d’un jaune que Robilliard affectionne, n’est pas sans évoquer les démarches des artistes de l’arte povera des années 70.
Christian Robilliard est un artiste contemporain et un artiste traditionnel, comme on veut. Est-ce impatience ou désinvolture de sa part si le milieu de l’art l’a négligé voire oublié ? Est-ce ignorance ou injustice de ce milieu comme il arrive souvent ? En tout cas, c’est dommage, car son travail ne manque pas d’intérêts et mérite l’attention.
P. Brunel
PS : On peut voir ici d'autres estampes de Christian Robillard.
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