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Un étrange univers, celui de V. Vassiliev

Dans toute société, il existe à un moment donné des individus qui, par certains côtés, vivent avec un siècle d’avance et d’autres avec un siècle de retard. De Vesselin Vassilev qui, contrairement à ce qu’on a déjà vu de lui, ne présente à la galerie L'Antilope que des estampes en noir, je ne saurai dire si son univers personnel fait de lui un homme d’un temps révolu ou d’un temps à venir. Il semble graver à contre-courant de ce qui se fait ici et maintenant, mais peut-être est-il en avance. 

V. Vassilev, Quatrième dimension.
V. Vassilev, Quatrième dimension.

Ses personnages, dans le plus simple appareil en général, s’inscrivent dans un hors temps qui fait d’eux des êtres de tous temps. Pas étonnant dans ces conditions que la présence des mythes les plus antiques, comme celui de Narcisse ou de l’Eden, occupent l’artiste. En éliminant le conjoncturel, en construisant des espaces quasi science-fictionnels, archaïquement futuristes même, où flottent nudités classiques, objets identifiés - engrenages de précision, colonnes de temple grec - ou formes non identifiées - l’artiste évite peut-être le piège de l’éphémère, en tout cas de ce qu’on pourrait appeler l’obsession du présent.

 

On y voit des scènes d’action ou de contemplation, des architectures diverses, géométriques ou énigmatiques, certaines à mi-chemin entre le château oriental et la tour de Babel, presque toujours déformées comme sous l’effet de lentilles, des horizons on ne peut plus réalistes et poétiques, des objets aériens, issus d’un monde disparu - on y roule en grand bi -  plus facilement que contemporain : pas d’avion, mais des aéronefs, dirigeables, ballons qu’on dirait sortis des illustrations de Jules Verne ou d’un collage surréaliste de Max Ernst, en tout cas nés d’une fantaisie poétique dont le monde contemporain est largement privé. A chaque estampe, un titre sert d’ancrage, pourvoyeur d’autant d’énigmes que de lumières.

V. Vassilev, Au royaume de Narcisse.
V. Vassilev, Au royaume de Narcisse.

Ce qui est sûr, en tout cas, c’est qu’il est un exceptionnel graveur. Son trait précis est capable des plus belles nuances, des plus beaux effets de lumière. Il dessine avec une précision mathématique un système d’engrenages complexes aussi bien qu’un paysage romain argenté (ondulation de collines, pins parasols, cyprès dressés contre le ciel) digne de Poussin ou de Claude Gellée. 

 

 

On voit cependant que, malgré la variété des sujets représentés, des motifs courent d’une estampe à l’autre : par exemple celui du lien (guirlandes, lianes, cordes…) qui dessine des mouvements ondulatoires à travers l’estampe, et crée un univers mouvant ; résultat probable d’une vision qui aime la distorsion, l’illusion d’optique. Cela rejoint un dispositif de composition récurrent aussi, celui du renversement, du miroir pourrait-on dire pour être plus concret : ainsi les deux vantaux de la grille d’un jardin probablement enchanté dans une estampe intitulée Au seuil ; dans Antipodes, une belle anatomie, dansante et combattante en même temps, trouve sous elle, comme vue à travers une glace invisible, un double négatif inversé ; parfois l’image tout entière, dans de grandes linogravures, est renversée à la manière  des « cartes à jouer ». 

Qu’est-ce à dire ? Mystère ! Au spectateur piégé par cet univers foisonnant de chercher le fil d’Ariane qui lui permettra de se retrouver.

P.B.

 

Post scriptum : Le lecteur curieux de science pourra plonger dans le livre de Catherine Thomas-Antérion, La création artistique sous l’œil des neurosciences, paru chez Klincksieck, et sous-titré Léonard, Mona et le  graveur Vesselin Vassilev, dans lequel la chercheuse, docteure en neuropsychologie, s’intéresse aux notions de l’inspiration et de la création en examinant le cheminement créatif de l’artiste, du point de départ probable à l'estampe finale..

Encre et lumière  Vesselin Vassilev

Galerie l’Antilope, 99 Rue Bossuet 69006

du 2 décembre 2016 au 20 janvier 2017, du lundi au vendredi de 14 à 19 heures et sur rendez-vous.

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