Les vastes et hautes salles du Palais de Bondy, blanches et lumineuses, accueillent pour quelques jours le Salon du Sud-Est, cette vieille institution lyonnaise créée en 1925.
Chose risquée, pour l’artiste et le spectateur qu’un Salon! Dans la foule, l’un peine à être distingué, l’autre peine à distinguer. Mais cette année l'espace ne manque pas.
Chose curieuse aussi, souvent objet de polémique. Faut-il s’en étonner quand on a tant de mal à s’accorder sur le sens donné au mot ? Dans son acception commune (exposition périodique d’œuvres d’artistes vivants), un salon est censé ouvrir la porte à tout... et n’importe quoi en fait d’art. Mais depuis le Salon des Refusés (1863), on ne mélange plus les torchons et les serviettes et LE Salon s’est démultiplié en Salons...
Le Salon du Sud-Est, dit la vulgate historique, résulte de l’initiative de certains artistes – entre autres ceux qui se sont appelés Ziniars – et personnalités de l’art contre la tradition académique qui régentait alors la vie artistique à Lyon. Rappel non dépourvu de sous-entendus un peu douloureux...
Car que voit-on donc cette année dans ce Salon qui, nous dit-on, revient de loin et dont la qualité s’améliore ?
Des paysages, parfois un peu trop lyonno-lyonnais, des intérieurs, des natures mortes, des portraits, des figures. Une peinture séduisante, riche pourrait-on dire, de belle facture. On regarde avec plaisir les natures mortes solidement brossées de Walter Sauermann ; ou les toiles de Natalina Micolini, des Oliviers qui n’en sont plus, celles de Hervé Fayel ; on contemple lentement les œuvres de Bernard Rouyard, avec leurs motifs quasi invisibles qui s’effacent dans l’espèce de brume lumineuse qui les baigne. Les amateurs d’une figuration de qualité trouveront leur bonheur.
On voit aussi des compositions abstraites, ou quasi abstraites, compositions formelles ou gestuelles, réussies, enlevées ; on pense à Eric Braud, à Jean Imhof, à Anne Michaud, à Monique Bougarel, à un Galland qu’on voit quitter les bleu nuit pour des teintes plus pâles.
Et pour terminer – jugements subjectifs et non rationnels – nous avons été marqué par Marcelle Benhamou, pour l’énergie de ses rouges, et par Karine Chantelat pour la poésie sereine et lumineuse de ses compositions ; on a aimé converser avec Paya Poyandeh, le seul à se faire vraiment l’écho du monde contemporain et à susciter des interrogations, et avec Isabelle Philips-Decramer lancée dans une recherche minimaliste risquée ; on a été touché par le travail de Daniel Tillier et celui d’Isaure de Larminat dont les estampes colorées, heureuses, primesautières, ironiques peut-être, détonnent dans l’assombrissement général.
Mais d’où vient alors, à vrai dire, l’impression première d’un certain ronron – du déjà vu tout cela ? – qui procure celle, fâcheuse, d’avoir remonté le temps ? En vingt ans de Salons du Sud-Est, le renouvellement des artistes a pourtant eu lieu (75% de nouveaux noms), plus peut-être que les familles de styles. Mais ce désappointement ne résulte-t-il pas plutôt de ce qu’on attend aussi aujourd’hui de l’artiste non seulement qu’il donne à voir la réalité du monde, mais qu’il le fasse de manière plus politique ? Car il faut bien le reconnaître, dans ce bon Salon, s’il y a beaucoup d’œuvres qui peuvent nous aider à vivre par la beauté dont elles rayonnent, il n’en est pas beaucoup qui nous aident à penser notre temps, celui du trumpisme triomphant, du matérialisme, des migrations, des réseaux sociaux, des pollutions, des menaces et violences en tous genres. Les plus aventureux des artistes du Salon ne gagneraient-ils pas à mettre leurs principes esthétiques à l’épreuve des problématiques contemporaines ?
Jean-Louis Mandon a bien raison, dans la présentation du catalogue, de souligner que « les problèmes de la figuration et de la création ne se posent plus d’une manière contradictoire pour les nouveaux créateurs ». Les artistes d’aujourd’hui en effet, qu’ils soient estampillés AC (« art contemporain ») ou non, se font les témoins de la réalité du monde, cherchent à représenter le monde dans tous ses états.
Alors, si l’on a dépassé ces oppositions, si tous les artistes, quels que soient leurs moyens d’expression, s’interrogent dans leur travail sur le monde qui nous entoure, alors rêvons : on voit mal pourquoi Jérémy Liron exposé récemment au Musée Dini, Jacqueline Salmon, actuellement à la Bibliothèque municipale, ou Marc Desgrandchamps, qui travaillent à Lyon, ne seraient pas invités eux aussi au Salon du Sud-Est. N’est-il pas temps d’abattre certains cloisonnements, d’ouvrir le Salon à des artistes dont les réseaux sont peut-être différents. Rappelons-nous que le premier Salon du Sud-Est, en 1925, avait invité Bonnard, Maillol, Dufy, Matisse, Charmy, Segonzac, Signac, Utrillo, Valadon, Wlaminck et Van Dongen !
P.B.
Post-scriptum
Une fois n'est pas coutume, j'ai parlé peinture (et négligé les sculpteurs et les photographes). Mais quatre graveurs seulement cette année ?
Jean-Marc Reymond, Gilbert Houbre, Isaure de Larminat, et Ayme de Lyon, défendent heureusement, dans une diversité totale de techniques, de motifs et de style, un mode d'expression qui n'a pas dit son dernier mot. La gravure vit et vivra longtemps.
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Isaure de Larminat (lundi, 19 novembre 2018 12:02)
Merci Philippe pour tous ces commentaires fort bien tournés; nourris par une fine analyse, ils nous aident aussi à prendre du recul.