La réunion sur les cimaises d’un ensemble de 36 estampes de l’artiste permet de cerner un peu mieux l’art de cet graveur original et marginal
Des thèmes récurrents apparaissent : la musique, présente avec ses signes graphiques que sont les notes, les portées ; le mouvement et la communication modernes avec des objets liés au transport (draisienne, automobiles, avions, trains ) et à la communication (téléphone, lettre, carte postale) et même celle que les PTT assurent, puisqu’on trouve un humoristique « Postes » sur une des premières estampes, Epifanny; la femme enfin omniprésente, avec la répétition dans des estampes différentes, d’un visage féminin, idéalisé peut-être, souvent disproportionné par rapport au corps quand celui-ci est, assez rarement d’ailleurs, représenté en entier.
Il faut reconnaître que l’influence surréaliste est primordiale, pas seulement par la reprise du motif quasi obsessionnel de ce dernier motif, le visage féminin, et de l’arrière-plan érotique, mais surtout par les moyens plastiques, notamment l’utilisation de la déformation des objets représentés : un cou de femme se transforme en tour médiévale, une oreille devient l’écouteur d’un téléphone, un doigt devient bras, une silhouette de femme à genoux sexe masculin, une portée musicale réseau de câbles électriques tendus entre deux poteaux, etc. Le résultat n’est pas loin de celui procuré par le « cadavre exquis », quand l’artiste qui dessine ne sait pas ce que l’artiste précédent a représenté. Procédé proche de la métaphore non motivée, supposée produire, par l’écart stupéfiant entre les choses représentées, « la merveille », que recherchait André Breton. Les rapprochements ainsi opérés sont propres à réjouir le psychanalyste amateur d’art qui ne manquera pas d’interpréter nombre de choses représentées (tour, avion, fleur…) en symboles sexuels. En tout cas, le spectateur ne perd pas son temps à regarder longuement les dessins de Christian Robilliard pour éprouver du plaisir à ces heureuses trouvailles : ainsi cette chevelure de femme qui prend la forme effective d’une queue de cheval.
On peut ajouter que cette liberté d’imagination, cette libération de l’imaginaire, du fantasmatique donne parfois naissance à des estampes d’une radicalité, d’une violence qui aujourd’hui peut-être risquerait de soulever des indignations de tous bords. Ainsi en est-il de cette petite planche (intitulée Crucifixion) qui de deux manières différentes montre le sexe d’une femme aux jambes écartées, dans lequel s’enfonce un énorme clou.
Mais à partir des années 80, semble-t-il, on constate une évolution de l’invention et des moyens mis en oeuvre : la dimension surréaliste diminue, disparaît peut-être. L’artiste ne date plus ses travaux. Une estampe, exceptionnelle dans l’exposition, montre une femme descendant un escalier dont on ne voit presque que le haut du crâne dans une perspective saisissante : mais ce n’est pas Duchamp qui est évoqué ici, plutôt Escher et ses illusions d’optique oppressantes.
D’autres, nombreuses, montrent une thématique du double, et même du multiple : les visages de femme sont toujours là, au premier plan, plus impressionnants encore, devant un paysage urbain; mais ils apparaissent dédoublés par un reflet dans un miroir, une fenêtre, une étendue d’eau. Souvent inversés donc, mais différents par un détail, yeux ouverts versus yeux fermés par exemple. Par la teinte, aussi, car la couleur apparaît, une teinte chaude le plus souvent, qui interdit une lecture trop noire de l’oeuvre. C. Robilliard était un artiste tourmenté, sans doute, secret certainement, mais pas désespéré. Parfois même les visages sont multipliés, six ou huit, ou plus. Le travail du graveur prend alors une forme assez étonnante : l’estampe intitulée Minuit est composée d’une série de douze petits tirages, sur un papier très fin, d’une partie d’une même plaque, collés circulairement sur une même feuille; ce sont donc douze visages de femme figurant les heures de la journée sur un cadran ; et quatre autres tirages de deux autres visages féminins, placés alternativement aux quatre coins. Soit seize tirages différents pour une seule estampe. Chacun interprétera à sa guise ce rapprochement étonnant des heures du Temps qui passe et de la Femme. Mais notre époque, qui aime les oeuvres lourdement explicites ou, à défaut, les longs cartels explicatifs, ne peut guère apprécier cet art énigmatique et poétique. L’artiste, en tout cas, ne pouvait multiplier ce type d’estampe, certainement unique, au risque de se perdre.
Un travail de fou, comme on dit familièrement, qui met en évidence aussi la longue patience et l’extrême dextérité de l’artiste quand, tout au long de sa vie, il utilise le burin et l’acier, même pour obtenir des nuances dans les ombres, les plis, les chevelures, aussi riches que celles que pourrait procurer l’eau-forte. Christian Robilliard a aussi su évoluer dans ses sujets et dans ses procédés. Sa quête intérieure l’animait d’une telle force qu’il était entraîné à inventer toujours, pour être au plus juste de l’expression de son désir et de sa sensation.
P.B.
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