A la galerie L’Oeil écoute, vient de s’ouvrir une exposition intitulée « Et si les arbres avaient un coeur ? », avec un sous-titre : « Une oeuvre achetée = un arbre pour le vieux Lyon ». Derrière cet engagement, l’idée, bien partagée aujourd’hui, est celle de l’arbre en danger, symbole de la planète tout entière.
Occasion pour la galerie de montrer le travail d’artistes pour qui l’arbre est encore un motif remarquable. Car l’arbre ! Ah ! l’arbre ! Vaste programme, en art. Il abrite déjà les amours des héros sur les fresques de Pompéi comme ceux des contemporains de Rembrandt, dans le cycle arthurien, il protège Tristan et Yseult, de même qu’on le trouve sur les chapiteaux médiévaux encadrant une scène de la vie du Christ… Ses feuilles naissent et meurent. Arbre de vie, arbre de mort.
Revenant de l’exposition Giono au Mucem, je ne résiste pas au bonheur de faire partager cet extrait, qui dit tout, d’Un Roi sans divertissement (pour en rappeler l’argument : un commandant de gendarmerie est appelé dans un village reculé du Trièves pour rechercher un tueur mystérieux…)
« Le hêtre de la scierie n’avait pas encore, certes, l’ampleur que nous lui voyons. Mais, sa jeunesse (enfin, tout au moins par rapport avec maintenant) ou plus exactement son adolescence était d’une carrure et d’une étoffe qui le mettaient à cent coudées au-dessus de tous les autres arbres, même de tous les autres arbres réunis. Son feuillage était d’un dru, d’une épaisseur, d’une densité de pierre, et sa charpente (dont on ne pouvait rien voir, tant elle était couverte et recouverte de rameaux plus opaques les uns que les autres) devait être d’une force et d’une beauté rares pour porter avec tant d’élégance tant de poids accumulé. Il était surtout (à cette époque) pétri d’oiseaux et de mouches ; il contenait autant d’oiseaux et de mouches que de feuilles. Il était constamment charrué et bouleversé de corneilles, de corbeaux et d’essaims ; il éclaboussait à chaque instant des vols de rossignols et de mésanges ; il fumait de bergeronnettes et d’abeilles ; il soufflait des faucons et des taons ; il jonglait avec des balles multicolores de pinsons, de roitelets, de rouges-gorges, de pluviers et de guêpes. C’était autour de lui une ronde sans fin d’oiseaux, de papillons et de mouches dans lesquels le soleil avait l’air de se décomposer en arcs-en-ciel comme à travers des jaillissements d’embruns. Et, à l’automne, avec ses longs poils cramoisis, ses mille bras entrelacés de serpents verts, ses cent mille mains de feuillages d’or jouant avec des pompons de plumes, des lanières d’oiseaux, des poussières de cristal, il n’était vraiment pas un arbre. Les forêts, assises sur les gradins des montagnes, finissaient par le regarder en silence. Il crépitait comme un brasier ; il dansait comme seuls savent danser les êtres surnaturels, en multipliant son corps autour de son immobilité ; il ondulait autour de lui-même dans un entortillement d’écharpes, si frémissant, si mordoré, si inlassablement repétri par l’ivresse de son corps qu’on ne pouvait plus savoir s’il était enraciné par l’encramponnement de prodigieuses racines ou par la vitesse miraculeuse de la pointe de toupie sur laquelle reposent les dieux. Les forêts, assises sur les gradins de l’amphithéâtre des montagnes, dans leur grande toilette sacerdotale4, n’osaient plus bouger. Cette virtuosité de beauté hypnotisait comme l’œil des serpents ou le sang des oies sauvages sur la neige. Et, tout le long des routes qui montaient ou descendaient vers elle, s’alignait la procession5 des érables ensanglantés comme des bouchers. »
Voilà qu’il faut redescendre sur terre et sur les quais de Saône. Parmi les nombreuses pièces présentées, on a remarqué les encres et aquarelles de Martine Chantereau, d’une simplicité remarquable, de ce dépouillement que seul produit l’intensité de la pratique et de la réflexion, les dessins de petit format mais nets et précis de Christine Levy-Rostagnat, ou les amples fusains de Benoit Souverbie. Et d’autres pièces encore de Bénédicte Fayansoff-Chaine, Patricia Gitenay, Anne Mangeot, Mireille Veauvy, Mathieu Weemaels, Amaury Wenger, Yakinou, pour les citer tous.
On était venu pour les petites eaux-fortes de François Dupuis, au métier toujours impressionnant, qui donne, à partir d’un cuivre de quelques centimètres, des univers immenses devant lesquels rêver longuement, un paysage enneigé, un jardin au couchant, baigné par une lumière étonnante, ou pour les planches à l’inspiration mythologique nourrie de symboles de Vesselin Vassilev. Philippe Tardy, quant à lui, présente ses eaux-fortes aussi poétiques et profondes que mystérieuses, et - c’est nouveau - une grande huile simple, « Le premier arbre », expression retenue de la beauté silencieuse du monde : devant un paysage indécis de mer et de ciel presque mêlés, parmi quelques congénères, ombres sur la brume gris bleu d’un soir encore clair, un pin, un seul, déjà mordu par le feu, qui va bientôt embraser l’arbre voisin. Le premier arbre en effet, avant que…
P.B.
Galerie L’Oeil écoute, « Et si les arbres avaient un coeur ».
Du 9 février au 1er mars.
Ouvert du jeudi au samedi de 15 à 19 heures et le dimanche de 11 à 17 heures.
3 quai Romain Rolland, 69005 Lyon.
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