Feuilleté Les Fleurs du Mal, dans l’espoir d’y trouver des vers, sinon apotropaïques (1), du moins consolateurs. Faible moisson. Le chant de notre poète national plonge dans les ténèbres plus souvent qu’il ne s’élève vers la lumière. Brrr ! Néanmoins, ce poème-ci, où il est question de "confins" et de "miasmes", nous invite à un déplacement d’un autre type, un peu plus difficile, celui qu’un regard différent permet et que tout le monde pourrait cultiver.
Et après avoir terminé ce post hier soir (oui, j’ai un jour d’avance, pour l'instant) et fermé l’ordinateur, dans ma lecture de chevet, je tombe, saisi par la coïncidence, sur cette phrase : « Le seul véritable voyage, le seul bain de Jouvence, ce ne serait pas d’aller vers de nouveaux paysages, mais d’avoir d’autres yeux, de voir l’univers avec les yeux d’un autre, de cent autres, de voir les cent univers que chacun d’eux voit, que chacun d’eux est ; et cela nous le pouvons, avec un Elstir, avec un Vinteuil, avec leurs pareils, nous volons vraiment d’étoiles en étoiles ». (Proust, La Prisonnière.)
C’est pas beau, ça ?
Élévation
Au-dessus des étangs, au-dessus des vallées,
Des montagnes, des bois, des nuages, des mers,
Par delà le soleil, par delà les éthers,
Par delà les confins des sphères étoilées,
Mon esprit, tu te meus avec agilité,
Et, comme un bon nageur qui se pâme dans l'onde,
Tu sillonnes gaiement l'immensité profonde
Avec une indicible et mâle volupté.
Envole-toi bien loin de ces miasmes morbides ;
Va te purifier dans l'air supérieur,
Et bois, comme une pure et divine liqueur,
Le feu clair qui remplit les espaces limpides.
Derrière les ennuis et les vastes chagrins
Qui chargent de leur poids l'existence brumeuse,
Heureux celui qui peut d'une aile vigoureuse
S'élancer vers les champs lumineux et sereins ;
Celui dont les pensers, comme des alouettes,
Vers les cieux le matin prennent un libre essor,
- Qui plane sur la vie, et comprend sans effort
Le langage des fleurs et des choses muettes !
Note 1 :
J’entends le lecteur impatienté : « Ah quel pédant, ce type ! Pas même dans le dico son apo trop machin… I peut pas dire les choses simplement ! « qui détourne le danger », c’est pas plus clair, non ? Déjà que le Baudelaire…! » (2)
Note 2 :
Je prends conscience que l’exercice en cours (à cause de sa fréquence même, et de la présence tout à coup plus proche des lecteurs) entraîne mon clavier à du laisser-aller : il s'autorise des traces de langue familière. On va tenter de le faire filer droit, le bougre. Demain, ce sera du sérieux.
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Gérard Klein (samedi, 21 mars 2020 15:56)
Et Voilà, le pli est pris. Chaque matin, avant de promener ma chienne, je m’enquiers des propos du jour (ou de la veille) du "Journal des Confins" dont un signalement familial (par alliance!) m'a inoculé la première fumée.
Ignorant du monde des estampes -j'en suis resté à Dürer , Schongauer, Holbein et autres Callot - je découvre ainsi que des passionnés remuent ciel et terre et leurs méninges sur le sujet.
Et puis cette idée de rebondir sur le confinement sanitaire ...quelle bonne idée.
Mais quel courage d'espérer trouver chez Baudelaire une lueur dans la nuit . Ma chienne, qui a pourtant la dent dure avec moi à propos de mes choix livresques, m'en a fait la remarque lorsque, adossé au plus imposant des vieux cèdres atlantis à qui je rends visite chaque matin (c'est un devoir quasi filial) je lui ai lu quelques pages - oh ! pas trop nombreuses, elle a des difficultés d'assimilation - de la Légende des siècles dont je ne manque pas de me munir en alternance avec les Contemplations.
"ça a quand même plus de gueule que les vers du dépressif du 19e! et pour tenir le moral des semaines à venir, c'est plus roboratif non?" me grogna-t-elle. " Mais le coup de l'apotropaïque, chapeau ! ". Elle n'a pas tort, Plume - c'est le nom de ma chienne , car bien que dans la catégorie des chiens moyens-gros elle pèse presque trois fois moins que moi - ainsi il a bien fallu lire le blog jusqu'au bout pour avoir la clé.
Mais Wikipédia , ça n'est pas fait pour les chiens et je n'ai pu m’empêcher d'y renifler quelque peu pour trouver des truffes.
Par exemple des "objets apotropaïques" dans la Grèce antique comme la statuette"Aphroditos Anasyromenos", ou encore le Phallus de la Prospérité de Pompeï (je vous laisse en trouver d'autres ...). Il y a aussi cette pratique athénienne de cracher sur un paralytique...
"Cela pourrait faire un lien facile (et lourd) avec la polémique de ces derniers jours sur le port de masques" me fait observer ma chienne.
Décidément, elle ne respecte rien.
PB (samedi, 21 mars 2020 16:21)
En fait aussi, "apotropaïque", ça a une tête de médicament, entre l'antalgique et l'anxiolytique...
Merci pour ton post et grand merci à ton chien... Il me donne l'idée de parler dans quelques jours, d'un autre chien, qui devait lire aussi Hugo et que Hugo aussi connaissait bien (devinette !).