· 

Veille de guerre

Derain et Vlaminck se sont rencontrés en juillet 1900 sur le chemin de fer qui va de Paris à Chatou : un accident qui les oblige à faire route à pied, et à faire connaissance. Peintres tous les deux, jeunes tous les deux, 20 ans pour l’un, 24 pour l’autre. C’est le début d’un compagnonnage qui va durer une vie. Dans les premiers temps, une fièvre de création les prend. Ils s’amusent, sont jeunes, veulent changer le monde. 

Derain est un peu anarchiste, Vlaminck répète qu’il ne faut plus aller au musée ; ils produisent ensemble leurs premières gravures vers 1906, des gravures sur bois tirées sur du mauvais papier, sur ce qui leur tombe sous la main, à très peu d’exemplaires : c’est un jeu, une saine émulation. Et les résultats sont violents, radicaux, d’une simplicité extrême, et les rapproche d’un art primitif. On les appellera les Fauves. Les rejoindront Matisse, Dufy, Marquet… Pour un temps seulement, car le « mouvement » ne dure pas : les gens mûrissent, les gens et les temps changent. 

La vie tourbillonne, les villes grandissent, les transports rapprochent les gens, et tout le monde s’émerveille des nouveautés incessantes, toutes plus radicales que les autres : automobile, avion, téléphone. Apollinaire prépare Alcools et ses poèmes vont bouleverser la poésie, la faire basculer dans le XXème siècle.  La bourgeoisie parisienne consomme, danse, fait la fête, achète des toilettes et… des oeuvres d’art.

En 1913, le marchand d’art Daniel-Henry Kahnweiler commande à Maurice de Vlaminck dix-huit « bois » que ce dernier produit entre 1913 et 1914 ; ils sont édités à trente épreuves chacun. Vlaminck dans cet ensemble assez homogène reprend les sujets de ses tableaux de l’époque, c’est à dire des paysages : paysage de la région parisienne  (Bougival, Chatou) ou du midi (Martigues, Marseille). 

Là, c’est le Pecq, un village en face de Saint Germain en Laye.

C’est donc un « bois », d’une virtuosité certaine ; l’artiste suggère le volume, traduit la variété des phénomènes atmosphériques : moutonnement des nuages (forme réutilisée après-guerre chez les artistes graveurs et illustrateurs Art déco), reflets et tremblements des ombres dans le fleuve. On sent aussi l’influence du cubisme ambiant. Le fauvisme du début, c'était violence des tailles, inachèvement de l’oeuvre. On s’en est éloigné : les tailles sont plus soignées, assagies. L’impression a été faite par un imprimeur, et le plus habile de l’époque, non par le graveur lui-même. Et s’il y a peu d’exemplaires, c’est pour faire monter les prix. 

Puis vient la guerre… Elle va durer quatre ans. 

Après on aura changé d’époque.

 

 

Détail de la grande Histoire, les biens de Kahnweiler, d’origine allemande, sont mis sous séquestre dès 1914, et seront vendus aux enchères en 1921 et 1922, ceci bien que considéré comme déserteur en son pays parce qu’il avait refusé d’être incorporé dans l’armée impériale, tout en refusant de combattre son pays.

Écrire commentaire

Commentaires: 3
  • #1

    gerard Klein (mardi, 24 mars 2020 12:06)

    Ma chienne Plume se moque de moi parce que, peu virtuose du clavier et novice en blog, j'ai perdu deux messages hier; le premier concernait la "promenade dans Lyon", où je bavardais à propos des rapports entre détail et champs large, ainsi que de nos réflexes quasi pavloviens pour associer certains détail et certains quartiers (là ce dernier point n'a pas bien plu à Plume, elle est très à cheval sur les caractères qu'on attribue à son espèce !)
    Le deuxième message concernait le "bois" de Vlaminck que j'ai beaucoup aimé , non pour sa virtuosité technique au demeurant très clairement décrite ,et pour laquelle je n'ai pas l'expertise de Philippe pour en disserter avec compétence, mais pour la superbe capacité de lecture et d'analyse du paysage dont a du faire preuve l'artiste. En effet, les touches, ou plutôt les griffes des burins étant irrévocables, uniques, et limitées, seules celles exprimant l'essence du paysage et les lignes de force ont leur légitimité. J'avais osé faire allusion à la maîtrise en la matière de Nicolas de Staël dont les paysages épurés à l'extrême sont pourtant reconnaissables. C'est le vieux géographe qui avait réagi, se souvenant de son ancien maître en géomorphologie qui prétendait reconstituer l'histoire d'un lieux par une lecture fine de son paysage.
    Voilà résumé ce que j'avais voulu développer hier et dont j'ai constaté la disparition en voulant achever...
    " Les Lecteurs l'ont échappé belle ! " -"tais-toi Plume ! "
    Deux questions: peut-on avoir l'indication des dimensions des œuvres présentées?
    Y-a-t-il moyen de mettre en brouillon un texte de commentaire du blog en cours de rédaction interrompue?

  • #2

    PB (mardi, 24 mars 2020 12:15)

    Désolé pour la perte des messages. Et vraiment tu me poses une colle. Un brouillon ? je ne sais pas.
    En revanche, les dimensions du bois de Vlaminck : 16,8 X 25 cm...
    Ah ! je pense à ton chien Plume... Je lui ai trouvé un copain, cela va venir.

  • #3

    Julien (dimanche, 29 mars 2020 09:16)

    Vlaminck a passé ses derniers jours près de Chartres, à la campagne. Le musée de Chartres conserve quelques toiles, un paysage marin menaçant notamment. C'était une découverte que nous avons fait lors notre dernière sortie de Paris, peu avant le confinement.