Ce site existe ordinairement pour la gravure et les graveurs. Depuis le début, et je l’ai écrit dans ces pages, mon intention est de maintenir le souvenir des artistes peintres-graveurs disparus et/ou oubliés du quart sud-est de la France. Pour cela, bien sûr, il s’agit de recueillir, partout où on peut les trouver, les traces de leurs oeuvres et d’en assurer la visibilité. Le blog, en revanche, est né de la constatation que beaucoup d’artistes contemporains, qui pratiquent la gravure, exposent ici ou là ne trouvent plus, dans la presse, l’expression d’un regard critique. S’il reflète peut-être une passion, il n’était pas le lieu d’une expression personnelle, intime.
Ce journal des confins, dans son exigence quotidienne, me pousse à entrebâiller la porte de mon « cabinet particulier », et à partager l’expérience de l’amateur collectionneur et les questions qui l’agitent.
Bouh ! Parler de moi ? Quelle horreur ! J’imagine à l’avance la flopée de « je » qui va suivre. On va friser l’indigestion. Tant pis.
On va commencer par les lieux, qu’une partie de mes lecteurs, venus à la maison, connaissent déjà.
Aujourd’hui le mur d’estampes auprès duquel je travaille, dont je dois dire qu’il chante (trop belle erreur de clavier, vue à la relecture ) change assez régulièrement pour de multiples raisons : les papiers craignent l’exposition longue à la lumière, mais les règles ne sont pas aussi drastiques que celles des musées, et l’on peut regarder les estampes sans « se tirer les yeux » comme disait une personne chère aujourd’hui disparue ; et puis, comme le fait dire Molière à Dom Juan, « tout le plaisir (…) est dans le changement », (je parle de feuilles, non de femmes !) ; disons que les estampes confinées dans les cartons réclament le droit de faire de l’exercice, et qu’il faut éviter de faire naître les jalousies - ce qui n’empêche pas que j’ai mes privilégiées- ; enfin, et ce n’est pas le moindre intérêt, la manipulation des cartons eux-mêmes, pour choisir l’une ou l’autre de ses occupantes, en secoue la poussière…
Tiens, vient une idée : un vernissage tous les quinze jours avec un mur différent ?
Et puis d'où cela vient-il ? Où faut-il chercher et remonter pour trouver l'étincelle qui a allumé ce goût ? Parfois les artistes ont posé la question. J'ai évoqué la première estampe achetée. J'en parlerais peut-être un jour.
Et creusant la question, maintenant, je remonte encore plus loin. A 1975, du temps que j’étudiais. J’habitais alors un deuxième sans ascenseur, au loyer très, très modéré, escalier de pierre en colimaçon, murs décrépits et ruinés, fenêtres donnant sur « cour », en réalité un étroit puits de lumière de deux mètres sur deux, dans un vieil immeuble à l’angle de la place des Jacobins et de la rue Mercière ; un immeuble, dans un îlot que la municipalité fit détruire en 1986, vingt-sept ans d’études ayant été nécessaires pour y parvenir, dernière et malencontreuse secousse d’un projet délirant qui, on s’en souvient, voulait raser la rue Mercière (souvenir reconnaissant à Régis Neyret). Une péripatéticienne occupait l’appartement du dessous, on échangeait quelques mots. (C’était alors le quartier mal famé).
Un jour, ma mère m’annonce par lettre sa venue, désireuse d’acheter une lithographie pour la décoration de son salon. Je n’y connais rien, je ne sais pas trop où il faut aller. Elle vient, monte jusqu’à chez moi, fait le tour des deux pièces ; je ne me souviens pas qu’elle ait dit quoi que ce soit. On sort visiter une galerie, puis une autre, rue Saint-Jean où elle trouve finalement une lithographie qui lui convient. Et ma mère reprend son train pour regagner la demeure familiale.
Il m’a fallu des années pour comprendre qu'inquiète elle venait voir cet appartement qui lui coûtait si peu. Elle a dû repartir horrifiée. L’année suivante, je changeai d’appartement.
Cette lithographie, une Femme au boa de Cassigneul, héritier de Bonnard et Van Dongen, qui peint des élégantes en chapeau, et dont la cote, internationale, persiste, semble-t-il, si j’en crois Art Price, existe toujours, jaunie par le temps. Mon père avait voulu l’installer dans la chambre de l'Ehpad. Je n’en ai même pas une photographie.
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Bui-Van (mardi, 24 mars 2020 21:06)
Oui Philippe, le temps présent appelle, plus que jamais, celui des commencements. Encore et toujours.
PB (mercredi, 25 mars 2020 09:56)
Pour moi, retrouver le commencement, c'est mesurer le chemin parcouru, en estimer la richesse ou la vacuité, identifier les contradictions de nos "moi" successifs, de nos avancées et nos reculs, dresser un bilan, si possible. Voilà que nous avons le temps, ce temps dont nous nous plaignions toujours de manquer... Et cet accroissement du temps peut faire peur.
gérard Klein (mercredi, 25 mars 2020 12:52)
Le "moi" n'est pas haïssable lorsqu'il permet de relater la genèse profonde d'une passion aux effets si positifs...
Tout récent voyageur dans ces lignes de Blog, et petit amateur d'art plastique, je découvre progressivement l'ampleur de la production d'estampes que inconsciemment j’associais à des temps anciens, aux gravures pourtant souvent époustouflantes (les "bois" de la fin du Moyen Age par exemple)
Pour raviver quelques obscurs souvenirs plus récents, j'ai feuilleté rapidement quelques volumes de la Comédie Humaine, lus aux premiers temps des "yé-yé" , comportant des reproductions de gravures de l'édition originale, mais sans aucune mention des artistes; il devait y avoir en la matière un nombre important d'une sorte de tâcherons de la gravure? Mais dans une édition des œuvres complètes de Zola de 1967, j'ai trouvé beaucoup de reproductions renseignées ( Doré, Gill) mais sans format ni détails techniques; en feuilletant ces reproduction d'éditions originales, sensées faire illusion sur la préciosité de l'édition -populaire- du" club français du livre" ou du "cercle du livre précieux", on remarque que la photographie prenait de plus en plus de place au détriment de la gravure...
Je continuerai donc à fréquenter ce site, dont je dois remercier Corona de m'avoir indirectement inoculé le virus. Mieux vaut tard que jamais. Plume me glisse à l'oreille qu'il faut que je me dépêche, j'entre dans le temps que les statistiques considèrent comme du "rab"!
Bravo pour tout le travail documentaire et analytique qu'il expose .
Question non piégeuse: existe-t-il un bouquin pouvant servir d'une sorte de "somme initiatique" ?
Julien (samedi, 28 mars 2020 22:45)
Ah cette femme au boa, tant de souvenirs !