Au départ il y a eu aussi un début de bibliophilie. Premiers pas vers l’estampe puisque le livre est aussi illustré. Une de mes premières acquisitions fut un lot de vignettes du XVIIIème siècle, de ces petits maîtres que sont Eisen, Moreau, et d’autres.
Avouons-le : je m’étais mis en tête, au siècle précédent, d’écrire un livre sur un auteur lyonnais du XIXème siècle. Son nom parle aux étudiants de l’université Lyon II : ils ont fréquenté l’amphithéâtre qui porte son nom, le poète Victor de Laprade. Le lire, c’était rechercher des livres anciens, puisque le pauvre académicien ( oui, vraiment, de l’Académie française, élu en 1858 au fauteuil de Musset, excusez du peu !) fut oublié peu après sa mort et plus édité depuis. De là, dans ma bibliothèque, Odes et Poèmes de 1843, et d’autres. De fil en aiguille, d’autres livres, d’autres auteurs, peu nombreux, l’ont rejoint. Mais les lisant, les feuilletant, les maniant, le papier lui-même a fini par se manifester. Comment, demandai-je, toi, le petit jeune, qui viens de 1850, avec tes taches de « rousseurs », tu résistes moins bien que lui qui est né vers 1700 ? C’était fichtrement remettre en cause ma croyance dans le progrès avec un grand P.
De fait, l’existence de différents types de papier ouvre un champ extraordinaire d’exploration aux curieux : comprendre la différence entre un vergé et un vélin est une première étape. Après, on entre dans une autre dimension, car les vergés et les vélins se subdivisent, selon les marques, les siècles et à l’intérieur des siècles. Et avec l’estampe, d’autres papiers encore apparaissent : on fait connaissance avec le hollande, on voyage encore plus loin avec le chine et le japon. Et leurs procédés de fabrication différents sont une occasion supplémentaire de s’émerveiller de l’inventivité humaine : ce que c’est que de l’homme, tout de même !
Cette découverte est concomitante d’une autre, celle de la durée de vie du papier : je me souviens de mon émerveillement (je le savais bien entendu, j’en avais conscience, j’avais même déchiffré et lu sur microfilms des morceaux de papyrus grecs du III ème siècle avant J.C.) quand j’ai tenu en mains ma première gravure du XVIIème siècle, un portrait comme on faisait beaucoup à l’époque. Naïvement, je m’ébahissais de me trouver en possession d’un papier vieux de presque quatre siècles. Objet fragile, qu’un rien salit, abime, déchire, brûle, et toujours là. Cela tient du miracle. Un objet sur lequel le temps est sans prise, avec parfois l’éclat, la pureté du neuf.
Le papier est aussi un matériau sensuel. Car un papier se touche : on le caresse, on éprouve sa surface, sa raideur ou sa souplesse, son épaisseur ou sa finesse, sa douceur, son grain, on évalue sa teinte, sa blancheur. Bien sûr, on voit les vergeures et les pontuseaux du vergé, l’aspect lisse du velin ou les fibres d’un japon, le moiré d’un chine, on essaie de lire le filigrane. Il est des papiers silencieux, d’autres sifflants ; les uns ont une voix grave ou aigüe, les autres encore rendent un son métallique. Et le papier raconte d’où il vient, il s’est imprégné de l’odeur de son environnement : il sent la cave ou le grenier, parfois la commode et le parfum; et quand il est mouillé ou lavé, on ne peut confondre un vélin d’un vergé.
Voilà aussi pourquoi on trouve peu de grandes estampes dans mes cartons, mais surtout des petites : il faut pouvoir les prendre en mains.
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Bui-Van (lundi, 20 avril 2020 20:23)
Oui, le papier est un lieu.