De fil en aiguille, je couds cette chronique au jour le jour. De la Chine mère de la gravure sur bois dont je parlais samedi, je passe à la « chine » d’aujourd’hui. Occupation à laquelle je me livre souvent, oui, je chine. Le mot est d’origine argotique… Pas de la haute, celui-là !
Les mots, en français, sont d’incroyables plaisantins : ils aiment à se déguiser, à prendre des costumes différents, qui font parcourir des régions inconnues, pénétrer dans des univers différents. Ils ont des histoires… Parfois, c’est du chinois.
Ainsi, « chiner», qui est un vieux mot de la langue française.
D’abord, il transporte au XVIIIème siècle. Dans l’Encyclopédie de Diderot, (Dictionnaire raisonné des sciences et des arts), on en trouve un emploi technique : pour la manufacture en soie, « Chiner une étoffe, c’est donner aux fils de la chaîne des couleurs différentes, & disposer ces couleurs sur ces fils de manière que quand l’étoffe sera travaillée, elles y représentent un dessein donné ». Mais pourquoi « chiner » ? Parce que, sans doute, des broderies en soie colorée, importées de Chine en France, servent de modèles.
Et puis, dans l’univers de la brocante. Qui n’a pas un jour ou l’autre chiné ? Mais d’où vient ce nouveau déguisement ?
Des chiffonniers et colporteurs qui, du XVII au XIXème, vont de village en village, à la recherche de bonnes occasions à vendre, transportant sur leur dos, livres de la bibliothèque bleue, images pieuses et rubans colorés ? parce qu’ils s’échinent sous le faix ? Par exemple dans cette estampe, dont j’ignore l’auteur, mais dont le papier filigrané appartient au XVIIIème siècle flamand.
Depuis le XIXème, les brocanteurs, dans leur argot, utilisent le mot, comme le dit Balzac, dans Le Cousin Pons: « Dans le métier de chineur (tel est le nom des chercheurs d'occasions, du verbe chiner, aller à la recherche des occasions et conclure de bons marchés avec des détenteurs ignorants), dans ce métier, la difficulté consiste à pouvoir s’introduire dans les maisons ». Mais qui me dit que mon brocanteur ne cherche pas plutôt des chinoiseries, bibelots venus de Chine ?
Enfin je crois que mon lecteur sent venir le moment de me chiner. Car c’est se moquer… qui viendrait non de Chine mais aussi d’échine en passant par les patois de l’Ouest : on peut rompre l’échine de quelqu’un, au propre et au figuré… Dans un cas, on tue, dans l’autre on critique. Dans les deux cas, on maltraite.
Comment chiner en est-il venu à signifier « draguer » ? Je laisse au lecteur le soin de l’imaginer…
Après cet aveu d’ignorance, le lecteur en est arrivé à la pensée que son auteur de cette chronique est un esprit vraiment bizarre : « Qui est ce Chinois-là ? » se dit-il…
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