Un post récent évoquait les oeuvres saisies par les Allemands entre 1940 et 1944, vouées pour beaucoup à la destruction quand elles relevaient à leurs yeux de « l’art dégénéré ». On peut évoquer d’autres spoliations moins bruyantes, mais tout aussi réelles.
Par exemple celle des oeuvres de la galerie tenue par Kahnweiler (1884-1979) en 1914.
Le jeune homme, d’origine allemande, venu en France en 1902 parfaire une formation de banquier d’affaires, y est resté et s’installe en 1907 comme galeriste. Il tâte le marché. Puis choisit ceux qu’il veut défendre, les modernes. Il commence par acheter Vlaminck et les fauves puis se fait le défenseur de ceux qui vont devenir les cubistes : Braque, Derain, Gris, Léger, et surtout Picasso. Et pendant quelques années il leur assure des moyens de subsistance en leur offrant un contrat.
Arrive la guerre. Kahnweiler, alors en voyage en Italie, ne peut rentrer en France parce qu’allemand, ni en Allemagne où il devrait combattre, et se réfugie en Suisse. Ses collections et ses biens font l’objet d’un séquestre de guerre.
En février 1920, il revient à Paris, tente de retrouver ses anciens artistes, ouvre une nouvelle galerie sous un autre nom, la galerie Simon. Et doit assister à l’impensable : ses biens saisis sont finalement mis aux enchères. Quatre ventes, entre juin 1921 et mai 1923, mettent sur le marché plus de huit cents oeuvres cubistes. Il n’y assiste pas. Par des prête-noms, il ne réussit à racheter que dix-sept tableaux.
L’expert de la vente n’est autre que Léonce Rosenberg, le marchand rival de Kahnweiler, son concurrent récent sur les cubistes. La première vente de peintures a lieu le 13 juin 1921.
Gertrude Stein, dans son Autobiographie d’Alice Toklas raconte la scène. Léonce Rosenberg, n’ayant pas fait la publicité de la vente comme il l’aurait dû, Braque, mécontent, le lui avait reproché : « L’expert avait répondu qu’il avait fait et qu’il était décidé à faire encore ce qui lui plaisait et il traita Braque de « cochon normand ». Braque en réponse lui avait donné un coup de poing (…). A peine était-ce fini que Matisse parut sur les lieux et voulut savoir ce qui était arrivé. Gertrude Stein le lui dit. Matisse s’écria, bien à la Matisse : « Braque a raison, cet homme a volé la France et on sait bien ce que c’est de voler la France ! »… G. Stein ajoute que les acheteurs prirent peur et tous les tableaux, sauf ceux de Derain se vendirent pour peu de chose ».
En réalité, si dans la première vente les prix restent corrects, les suivantes sont décevantes ; les tableaux sont mal vendus, et certains en profitent, notamment Barnes, l’amateur américain, qui, grâce à André Breton, réalise là quelques uns de ses plus beaux achats…
Cette histoire en rappelle une autre.
La galerie Nierendorf, dirigée à Berlin par deux frères, installe une succursale à New-York en mai 1936. Elle montre des artistes allemands. Avec la guerre, l’activité de la partie allemande de la galerie est arrêtée et son animateur Joseph Nierendorf incorporé dans la Werhmacht. A New-York, la galerie continue et ses affaires marchent bien. En 1947, Karl Nierendorf, le frère, qui la dirige, meurt, sans avoir fait de testament.
En vertu de la loi américaine, comme les héritiers sont allemands, la galerie et ce qu’elle contient sont confisqués par le Alien Property Custodian, administration qui a la charge de prendre le contrôle des biens étrangers aux États-Unis et de les gérer (il s’agissait d’affaiblir les pays ennemis et de favoriser l’effort de guerre américain). Une vente aux enchères a lieu en 1948. Le fonds de la galerie est vendu, pour le plus grand bonheur du Musée Guggenheim, qui acquiert là de nombreuses œuvres expressionnistes, surréalistes, et abstraites, dont près de cent cinquante de Klee. Les héritiers allemands ne reçoivent rien.
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