Il s’appelle Valentin Capony. Il est graveur. D’origine lyonnaise, il travaille à Bruxelles où il a son atelier depuis sa sortie de l’Académie royale des Beaux Arts. On l’a rencontré au salon du dessin contemporain de Lyon, Art Paper, où il présentait, pour sa deuxième année, des estampes, un très grand travail sur papier et une installation. On pouvait voir en même temps ces estampes et d’autres au Collège supérieur, lieu de travail intellectuel et d’exposition que connaissent les happy few.
L’année dernière, je terminais mon compte rendu du salon par une évocation enthousiaste de son travail. Cette année encore, voilà de beaux morceaux de gravure, qui ne manquent pas de faire leur effet.
De quoi s’agit-il au premier regard ? du noir et du blanc (et souvent plus de blanc que de noir), de la pointe sèche, un papier à la teinte légère et l’aspect lisse, des grands formats (124 x 200 pour la plus grande, To revolve 2). En dehors de ce dernier point, qui signe l’appartenance de l’artiste aux usages (ou peut-être aux modes) du temps présent, rien de bien exceptionnel.
Sur quoi donc repose la séduction de ces planches ? Sur leur beauté purement formelle et leur capacité évocatrice. Voilà des formes qui touchent quelque chose en nous. Ce qui plaît, c’est la simplicité pleine d’efficace du travail. L’artiste aime le trait, les traits, les traces laissées sur la plaque par l’outil qui le raye, le creuse, le travaille (et on sent bien derrière ce mot combien il est aussi l’artisan, celui qui oeuvre, fabrique, produit). Comme son intention n’est pas la représentation d’une réalité extérieure, toute l’attention du spectateur se concentre sur le trait lui-même, son ampleur, son énergie, son mouvement. Et in fine sur la forme que produit la multiplication finie des traits dans le vide du papier. C’est beau, tout simplement. Et plus encore : une impression étrange, presque une excitation intime, éveille le coeur, car ces formes si simples et énergiques (cercles, ondulations, rayures…), contemplées longuement, font se lever des associations d’idées, des réminiscences chargées d’émotions, d’événements, finalement de vie. Pouvoir de l’art, qui emporte hors du temps, à condition de se laisser emporter.
On voit d’emblée que l’artiste veut montrer un geste, un mouvement. On apprend ensuite qu’il y a derrière tout cela un processus de création pensé, réfléchi, entre spontanéité et contrainte. Spontanéité, car ces traits-là pleins d’exubérance et de dynamisme suggèrent que l’artiste éprouve du plaisir, de la joie même à travailler le métal, à faire corps avec lui, à y inscrire sa marque; c’est lui-même, se dit-on, qui finalement se cherche et se trouve peut-être. Contrainte parce que le geste qui donne naissance au trait est toujours le même, répété sans regret ni questionnement, mais jamais totalement identique. On imagine cependant que la recherche du geste juste prend du temps et que l’entreprise conduit plus souvent que prévu à l’échec. Partout, on voit l’attaque de la pointe sur le métal, sa course et son épuisement.
L’artiste définit aussi à l’avance, arbitrairement, la durée de ce geste, qui finit par donner le titre de l’estampe : par exemple un titre comme 1 hour 4 minutes indique le temps consacré au travail de gravure, temps défini par la somme des mesures des quatre côtés, un centimètre équivalant à une minute. La connaissance du processus créateur ne nuit pas à la contemplation première, elle la double au contraire, par la dimension temporelle donnée à l’oeuvre : l’artiste inscrit la marque du temps dans l’oeuvre quand le spectateur, on l’a vu, est emporté du temps présent vers d’autres temps, enfouis et retrouvés.
Certaines planches portent l’indication du procédé, suivie d’un numéro : To rake (ratisser), « To revolve » (tourner). On comprend que ce qui est en jeu, avec la grande taille de la plaque de métal nécessairement posée sur le sol, c’est le mouvement du corps tout entier, unique et toujours différent, de la main, du bras, du corps même, qui danse tout autour et laisse ses marques sur la plaque : un cercle fait d’une multitudes de traits circulaires (qui ne ressemble d’ailleurs pas à tel autre cercle fait de la même manière), ou bien des traits ondulants, sinueux, qui multipliés font comme des chevelures ou des crinières, ou encore des sillons verticaux jamais complètement réguliers qui traversent le blanc du papier et finissent par y disparaître.
Dans cette fixation, mieux dans cette célébration d’un mouvement, maniant un outil adapté, inventé et fabriqué même par l’artiste pour servir son dessein, comment ne pas penser à la noblesse du geste maîtrisé de l’ouvrier soucieux du bien faire ? Comment ne pas penser aussi aux gestes répétés, eux souvent vides de sens, de ceux qui travaillent devant une machine, à l’usine ou au bureau ? Plus généralement même, comment ne pas penser à ce qui fait notre vie à tous, tournant sur elle-même, répétant des gestes, épuisant le temps.
Grand merci donc à ce jeune artiste qui, sans jugement, sans discours, par son oeuvre énergique et enthousiaste, sait nous faire revenir sur nous-mêmes.
P.B.
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