La galerie L'oeil écoute propose jusqu'au 26 mai une exposition des estampes de Muriel Moreau et Didier Hamey. Une exposition de gravures, chose rare... On ne peut que féliciter les animateurs de la galerie de continuer, contre vents et marées, à en montrer.
Muriel Moreau et Didier Hamey donc, deux artistes installés dans la région, qui ont trouvé près de Saou (Drôme) l'endroit pour l'atelier idéal. On connait leur travail depuis quelques années. On a déjà parlé ici de Muriel Moreau et de ses estampes.
Cette fois, c'est Didier Hamey qui nous occupe. L'exposition montre assez largement les différentes facettes de ce travail original; des estampes ne laissent pas indifférent, pour peu qu'on les regarde avec attention. Une précaution cependant : laissez à l'entrée votre manteau de gravité, de sérieux, vos poids de soucis; détendez-vous, soyez léger, disponible...
De loin, selon leur dimension, les oeuvres produisent des effets différents : des grandes planches (40x50cm), d'une tonalité grisonnante, presque argentée, où presque jamais le blanc du papier n'est vierge de traits, apparaît la forme vague, presque tremblotante et mouvante d'une chose vivante et dressée, animal fantastique et pacifique, pas agressif pour deux sous, dont les yeux tout petits vous regardent avec curiosité à travers un nid de poils.
Dans une époque qui nous a habitué aux contrastes violents du noir et du blanc ou à la pratique de la réserve, la profusion de traits parfois minuscules, presque la surcharge de la plaque entièrement travaillée, fait penser à la gravure d'autres temps, à certaines planches de la Renaissance allemande peut-être, et surprend et interpelle. Premier constat : l'artiste se fiche de l'air du temps, et vit dans le sien, qui est d'imagination, d'invention. Autre preuve ? cet animal étrange à petits yeux, au nez pointu et couvert de poils, porte un doux prénom : c'est "Isidore". Tel autre, Buruburu, et tel autre encore, Rozizi 1er. Mais si, mais si! L'artiste serait-il un plaisantin ?
On en est conduit à se rapprocher pour voir de plus près le poil de la bête, et de quoi c'est fait. Alors se déploie tout un monde et c'est une autre histoire. Il y a de l'imagier d'autrefois, ici, de ce qu'on appelait un "tailleur d'ymaiges" au XVIème siècle. On se dit aussi qu'on ne peut pousser à ce point le travail de la pointe sans y trouver du plaisir, une jouissance jubilatoire et communicative. Avec aussi son revers : le risque est de s'y perdre, jusqu'à l'overdose. Un drogué de la pointe ?
Dans les petites au contraire, des plaques de 12 cm sur 10cm, si à rebours de la tendance contemporaine au gigantisme, on voit de loin des masses d'un noir velouté qui envahissent presque tout l'espace, assez indéfinissables ; et le tout invite là encore à s'approcher pour mieux voir : de près ce sont d'autres bestioles, pourvues de têtes, laissant à peine un peu de place en haut pour des excroissances bizarres. Et c'est encore une toute autre histoire...
Derrière ces représentants de ce bestiaire magique, aux allures de plantigrades au réveil, à l'air pataud et paresseux, qui envahissent presque tout le cadre de la gravure, d'autres animaux, montrant leur tête malicieuse, semblent faire coucou ; ou bien une végétation proliférante de graminées, de plantes, de feuilles tremble dans le vent.
Partout un ensemble de motifs récurrents, tirés de la nature. On croise des insectes, notamment le papillon qui intéresse notre artiste, non par sa légèreté erratique, mais par ses ocelles qui ressemblent à des yeux, ces cercles qui sur leurs ailes les protègent des prédateurs ; et d'autres animaux, les poissons, ou les hérissons - l'artiste est amoureux du hérisson, vous dis-je, comme de l'oursin d'ailleurs ; les piquants sont comme les traits du graveur, qui s'y frotte s'y pique ! C'est assez nouveau, non. Irais-je jusqu'à parler d'un autoportrait de l'artiste en oursin ? Et aussi du végétal : des lianes, des tiges, des fleurs stylisées de différentes sortes, reconnaissables par le spécialiste peut-être, même si elles ne sont pas l'objet de l'oeuvre, et ce qui semble être des aigrettes de pissenlits - ces boules duveteuses - sur lesquelles l'artiste, comme un qui a gardé son âme d'enfant, a envie de souffler pour semer à tout vent.
Avec cette présence du monde naturel, l'artiste utilise, à y regarder de près, des variations sur des éléments d'un langage qui n'appartient qu'à lui. Des formes reviennent : le cône plus ou moins épais à la base, des cercles, des points, des griffonis irréguliers. Pas de ces hachures parallèles par lesquelles les graveurs ont depuis longtemps souligné les choses, et fait les ombres, non. Pas d'ombre, de relief dans ces estampes, de premier ou de second plan, de perspective même.
Bref, un bonheur pour l'oeil : un voyage enchanteur au pays des merveilles à peu de frais.
P.B.
Galerie L'oeil écoute, jusqu'au 26 mai.
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