Premier décembre 2023
La galerie L'OEil Ecoute, quai Romain Rolland, présente les estampes d'Odile Gasquet et Vanessa Durantet, dans une exposition intitulée Matière première. Même si une génération sépare les deux artistes, elles n'en sont pas moins proches par certains côtés.
Toutes deux explorent avec bonheur les richesses de la couleur. Ici le bleu, l'orange, là, le rouge ou le vert... Pas de noir et blanc, hormis de rares pièces, d'ailleurs très fortes. Si bien qu'on peut naïvement regarder les oeuvres sans s'interroger sur les procédés employés. On s'évite ainsi les toujours délicates informations sur la taille, le plein ou le creux, les outils, les bains, les passages, et tout le reste... Finie la cuisine de la gravure, quoi ! Non, ici on peut regarder comme on regarde de la peinture sur papier, aquarelle, gouache ou acrylique. Evoquer la couleur, c'est dire ainsi la séduction familière et rassurante de ces feuilles.
Il s'agit pourtant bien de gravure et donc, par tradition, de multiple. On voit bien aussi que l'une comme l'autre, sont tentées par le concert un peu général maintenant des artistes qui tendent à rapprocher la gravure de l'oeuvre unique.
Depuis les années 1970-80 - où l'on tirait assez facilement à 120 ou 150 exemplaires - le nombre d'exemplaires tirés de chaque planche diminue. Il ya une décennie on tablait sur 50. Ici, on trouve des tirages à 4, à 7 exemplaires, et bien entendu des exemplaires uniques. Ce qui par là encore rapproche de la gravure du dessin, de l'aquarelle ou de la gouache. Et signifie aussi que les artistes repoussent encore les limites de la gravure.
Si elle reste comme elle a toujours été, une oeuvre sur papier obtenue par le travail d'un outil sur une plaque et une impression sur une presse, elle n'est presque plus multiple. Est-ce une façon de redorer le blason de la gravure en en faisant une oeuvre au même titre que les autres ? Est-ce fatigue ou lassitude du tirage sur la presse, opération technique, répétitive et dure, aux dires de beaucoup ? ou bien les artistes contemporains ont-ils peur du multiple ?
Pas de nostalgie dans ces propos, on prend acte du phénomène. Par expérience de collectionneur d'estampes anciennes, nous savons combien est fragile le papier. Il est à craindre qu'une oeuvre tirée sur papier à si peu d'exemplaires ait fatalement disparu dans les décennies à venir et que le collectionneur de 2123 ne trouvera pas au cours de ses recherches les estampes d'Odile Gasquet et de Vanessa Durantet, même s'il sait qu'elles ont existé.
Par-delà ces considérations, les deux artistes poursuivent leurs chemins respectifs. Les créations d'Odile Gasquet délicatement poétiques déploient un vocabulaire de formes (l'arrondi, l'ovale, la marbrure) et d'objets : les coquillages (escargot, scalaire, bernard l'hermite), les galets, les nervures de feuilles, les silhouettes graciles d'homme. L'étourdissement vous prend devant les planches énigmatiques où le noir du papier laisse apparaître la forme d'une tête. Dans une série d'oeuvres, c'est un personnage en position quasi foetale, qui se souvient du mélancolique Jeune homme nu assis au bord de la mer de Paul Flandrin (1836) ou en plongeur aérien comme celui de la tombe de Paestum, qui plane dans le vide silencieux et comme aquatique du papier. Regarder ses estampes, c'est faire le grand saut, plonger dans les abysses. Ou des abîmes. Rien pourtant de noir, de sombre, de désespéré. Avec la blancheur du papier demeure malgré tout la lumière et comme l'acceptation de la condition humaine. Tout est fin, subtil, tendre et douloureux en même temps.