22 janvier 2025
L’exposition est intitulée « Errance ». Ainsi l’artiste appelle-t-elle cette série de paysages. Qu’est-ce à dire ? Errer, c’est à la fois se perdre et se tromper. C’est perdre le nord, aller à l’aventure, voire la chercher, chercher l’inattendu, l’imprévisidble : c’est ainsi le premier pas vers la création. Celui qui erre n’est-il pas une image de l’artiste ? Ce peut être aussi chacun d’entre nous, qui ne savons pas, le plus souvent, où nous allons, et que les événements, les accidents, tout le surgissement bouillonnant de la vie même, entraînent dans des voies insoupçonnéés, parfois trompeuses, parfois bénéfiques, par des parcours sinueux, erratiques, que la volonté et la raison ne maîtrisent pas.
Dans la galerie, sont accrochées un peu plus d’une vingtaine de gravures. Des gravures sur plexiglass, plutôt petites (15x20) ou raisonnablement grandes (45x55). Au début, on voit l’élancement des pins maritimes vers leur cône ombreux se déployant sur le ciel vide, ou bien la ligne d’horizon sur la mer, ou les troncs verticaux d’une futaie serrée. Ce sont des paysages. Immédiatement reconnaissables, familiers, directs. Ils se donnent sans réserve. Ici point de complications, de questions, de querelles. On rentre dedans sans hésiter, le regard glisse d’un coin à l’autre, du haut en bas, d’un côté de l’autre, d’un espace à l’autre, on s’y perd, on s’y trouve, on s’y trouve bien. Des oeuvres séduisantes. Trop peut-être.
Mais sont-ce des paysages ces oeuvres où l’on ne voit qu’un ou deux arbres, les traces d’un chemin, une ligne d’horizon ? Des paysages minimalistes, oui, réduits au minimum, une essence de paysage. Et voilà que le regard est accroché : tout n’est pas que paysage. Deux gravures montrent des silhouettes en contre jour, ombres noires de passants au coin d’un rue ou d’un champ.
Et puis, dans les paysages mêmes, se glisse l’abstraction de taches, de rayures, de formes indéfinissables, des masses qui font nuages, ou brumes ou envols d’oiseaux. Les feuillages s’entoure d’un sfumato que pourrait produire une pointe sèche. Le paysage, oui, mais des oeuvres qui balancent entre le figuratif et l’abstraction, entre la représentation du réel et son débordement qui fabriquent du mystère grâce à une liberté de gestes et d’imagination. Le sujet, bien présent, quotidien, familier, s’éloigne et s’absente. Porte grande ouverte sur le rêve ou sur l’imagination.
Au coeur de tout cela, il y a le noir. Un noir profond et chaud. Noir mat. Large et beau. Pas complètement uniforme, mais légèrement nuancé et changeant. Là, le noir respire, vibre, flotte, surgit du blanc du papier. Un noir qui vient de loin, avec des formes (paysage ou silhouettes) noyées en partie par un sfumato prononcé qui tend à métamorphoser le paysage, par la rature, les rayures, caressantes ou presque rageuses. Noir de l’ombre, de la matrice originelle, des travaux primordiaux (Lascaux). Un noir qui n’est pas lumière comme il peut l’être avec Soulages. Ce noir vise plutôt à faire contraste et c’est à un romantique comme Caspar David Friedrich qu’on pense, à l’exigence de méditation profonde ou de réflexion métaphysique que suscite sa peinture.
Et on se souvient de Baudelaire :
« Car j’ai de chaque chose extrait la quintessence,
Tu m’as donné ta boue et j’en ai fait de l’or ».
Il faut ajouter, pour ceux que le noir effraie ou rebute, que dans cette « errance », on trouve cinq monotypes de paysages où la couleur domine, le rouge surtout, (le rouge et le noir, voilà qui rappelle un autre artiste, grenoblois, admirateur de la peinture italienne) et le jaune. Mais la couleur n’est appliquée qu’après la gravure en noir qui constitue le fondement.
L’artiste, qui vit et travaille à Grenoble, pratique la gravure depuis longtemps, et a exposé régulièrement au cours des trente dernières années. On sent un travail nourri d’expériences, de ratages et de réussites. Maîtrise et liberté. Ajoutons pour terminer qu’elle est scientifique (formation en physique et doctorat en optique) : situation intéressante, assez peu courante, porteuse de richesses. La scientifique qui conçoit des systèmes optiques et l’artiste qui donne à voir s’accordent. J’ai parlé plus haut de sfumato ? N’est-ce pas l’invention du grand Léonard de Vinci qui, lui aussi, était scientifique !
PB
Galerie Catherine Mainguy, 130 montée de la Grande Côte, 69001 Lyon. Jusqu'au 20 février.