Né à Lyon le 8 janvier 1930, croix-roussien de naissance et de coeur (en 1984, il a réalisé pour la Monnaie de Paris la Médaille des Canuts à l’occasion du 150ème anniversaire de la révolte des tisserands survenue à Lyon en avril 1834) René Bord a connu d’abord, et très tôt, le travail ouvrier comme décolleteur et régleur ; puis il se lance dans l’apprentissage de la résistance des métaux, puis suit des cours de dessin pour devenir dessinateur industriel et devient spécialiste du moulage conceptuel des moules à injection aux établissements Singer. Très loin de l'art et de la gravure.
Grièvement blessé dans un grave accident de la route qui l’immobilise pendant trois ans, il reconsidère son existence et approfondit les questions sociales, morales et humaines. Profondément transformé, il se met à dessiner, dans un souci de précision et d’exactitude, les vieux bâtiments de Lyon et de sa région, châteaux, cloîtres, ruines... observant les traces du passé comme un entomologiste les insectes, avec le respect de celui qui se sait mortel pour des objets qui ont traversé le temps.
Il passe comme naturellement du dessin à la gravure, retrouvant un peu de l’unité perdue. Il entre à l’atelier Alma, y apprend le travail du cuivre et du zinc, complète sa formation chez Michel Joyard à Vence puis chez Paul Franck à Colombes. Tout au long de son existence de graveur, il tentera de trouver la forme adaptée à sa quête en expérimentant des procédés de gravure divers.
A regarder attentivement son oeuvre et les titres qu’il a donnés à ses estampes, on peut distinguer constantes et évolutions. Il a toujours été attiré par la recherche de la lumière, en explorant les vertus du noir et du blanc. A travers son oeuvre, il s’interroge sur l’univers, sa naissance, sa durée, sa survie, émerveillé autant qu’angoissé aussi de la formidable énergie qui s’y déploie. Il a compris que le monde courait à sa perte par le surpeuplement, la pollution, les excès du génie humain, autant constructeur que destructeur, ( une estampe de 1985 est intitulée Problème de l’ozone ! ) et espéré une rédemption, de sorte que ses estampes traduisent souvent cette tension profonde. Eprouvé aussi, malgré tout, le besoin d’une élévation spirituelle.
D’autre part, d’après ceux qui l’ont connu, il trouvait du plaisir dans l’expérimentation, dans la « cuisine » de l’estampe, explorant de multiples techniques avec l’aquatinte, comptant autant sur le travail de l’outil que sur celui de l’acide. Selon une artiste qui l’a bien connu, « il privilégiait alors le grand format, travaillant sur des plaques dont la difficulté d'encrage le stimulait, retravaillant sans cesse les morsures profondes ».
Si dans ses premières – et rares – estampes, R. Bord trouve son inspiration dans les paysages de la région (la Dombe, notamment), il s’oriente rapidement, dès 1981, vers une manière que Pascal Fulacher, dans un article de la revue Gryphe, appelle « cosmique figurative » : les estampes, souvent des aquatintes, parfois en couleurs, toujours titrées, renvoient ainsi le plus souvent aux planètes, aux constellations, aux espaces interstellaires (Près de Jupiter, 1984) : la rondeur noire des planètes se meut à travers les rayons aigus d’une lumière explosante.
Parfois même, son attention se porte sur la représentation imaginaire du processus de création du monde : dans une série La création de l’univers, il imagine des Laves, des écoulements, des explosions brûlantes…
Il donne aussi des estampes, ses « carrés magiques », où s’exprime son goût pour la géométrie et les symboles : là dominent des formes plus ordonnées comme on le voit dans La porte du temps, 1984, ou Symphonie, 1992, et jusque dans les années 2000, qui font comme des cristallisations de la matière du monde.
On le voit cependant s’intéresser dans d'autres planches, eaux-fortes et aquatintes aux formes toujours géométriques, dont les noirs nuancés donnent des impressions de lavis, à des sujets plus simples, plus quotidiens, la fenêtre, l'atelier, le livre…
Certaines sont cependant des évocations alarmées de la ville ou du monde contemporain ou futur (La ville en feu, 1985, Sauvons la planète, 1986…).
Dans les années 1990, une orientation nouvelle et sans doute moins noire se fait jour, dans laquelle R. Bord pointe une lueur d’espérance : images de création, de résurrection qui font de lui peut-être un mystique (ce qui expliquerait sa présence au Salon d’art sacré de Paris à cette époque).
Au cours de son existence, il a animé un atelier à Ecully où il initie chaque semaine des amateurs à la gravure, avec une passion contagieuse. Il a collaboré avec les graveurs lyonnais en participant à l’aventure de l’association l’Empreinte, notamment, en participant à deux de ses ouvrages La Route et le Fleuve (éditions Stéphane Bachès) et exposé en France et à l’étranger, au Japon, en Italie, au Canada.
René Bord a déposé à la BNF un assez grand nombre de pièces, a donné au Musée de l’imprimerie (26 épreuves et 17 cuivres en 2013) et, en 2003, à la Bibliothèque municipale de Lyon presque l’ensemble de sa production (250 pièces), de sorte que son œuvre peut être consultée aisément.
Sources - Bibliographie
Rocher J.-L., René Bord - Gravures 1978-1988, Musée de l'Imprimerie et de la Banque, Lyon (catalogue d’exposition)
Pascal Fulacher, « Un artiste visionnaire », Gryphe, revue de la Bibliothèque de Lyon, n°9, 2004.
Jacques Bruyas, René Bord ou le paradoxe du graveur, Editions Rouville, 16 pages.
Irène Génin-Moine, René Bord, Edition Xeuilley, DL 2016, 95 pages
Colette E. Bidon, « René Bord, graveur mystique », Nouvelles de l’estampe, n°183, nov. 2002.