Originaire de Villeurbanne, Jean-Marc Reymond suit à partir de 1969 l’enseignement de l’Ecole des beaux-arts de Lyon, avec René Chancrin (1911-1981) comme professeur. Il y découvre la gravure qu’enseigne une buriniste très classique, attachée à la technique, Mme Marie-Claude Poudret. Il y rencontre aussi le travail très différent du buriniste Yves Jobert, artiste invité.
En 1974, il obtient son diplôme (section gravure) et remporte la même année le prix de Paris, distinction la plus ancienne et la plus importante de l’Ecole. Cela lui donne la possibilité de séjourner une année en résidence à la villa Ledion (Paris 14ème), dite villa des Lyonnais, ce qu’il fait en 1975, et de nouveau en 1976 avec un second prix de Paris. Ce sont donc deux années de découvertes et de travail, au cours desquelles il fréquente l’ENSBA et le cours de Lucien Coutaud (1904-1977). Pour arrondir les fins de mois, il fait des heures comme assistant chez Mourlot.
De retour à Lyon, il choisit l’enseignement et devient en 1977 professeur d’arts plastiques dans un lycée privé et le restera jusqu’à sa retraite en 2013. Commence alors une vie lyonnaise, avec son épouse, rencontrée aux Beaux-Arts de Lyon, et plus tard, deux filles.
Jean-Marc Reymond doit être compris dans cet entre-deux que constitue l’exercice d’un métier qu’il pratiquait de bon coeur et le burin dont il avait la passion. Ces deux activités ont été menées de front pendant toute sa vie, de manière exclusive et intense. Amateur de bonne chère et de bon vin, J.-M. Reymond n’était pas un homme exubérant. C’était un discret, d’un caractère réservé, ce qui ne le poussait pas à se mettre en valeur et à montrer son travail, dont il avait beaucoup de mal à parler d’ailleurs.
J.-M. Reymond a eu très peu d’expositions personnelles. A Lyon il expose à la galerie Charveriat en 1982, à « Terre et traits » en 1999, au Toboggan de Décines en 2000, et en 2016 à la maison de pays de Mornant avec Bernard Rouyard et J.-P Bui Van. Deux seules expositions ont lieu en dehors de la région, à la galerie Pomone en 1990 (Choisy le Roi), chez Evelyne Guichard à Aoste en 1995.
Mais on observe une présence assez remarquée à des expositions collectives dans la région et ailleurs.
Ayant gardé sans doute des liens avec le milieu des graveurs de la capitale, notamment grâce à Yves Jobert, il est sociétaire du salon d'Automne parisien, participe à une grande exposition à Paris et à Prague intitulée "Regard sur la gravure actuelle en France et en Tchécoslovaquie". Il sera fidèle - une dizaine de participations entre 1976 et 1992- au salon annuel de l’association de graveurs Le Trait, qui se tient à Paris à la Cité internationale des arts. On voit son travail dans bon nombre de salons dans la région parisienne, à Sud 92 (76-77), à la Biennale de Sarcelles (90, 92, 97, 2001 et 2003) à Conflans St Honorine, à la biennale des arts graphiques de Saint-Maur, où il reçoit le 2ème prix (1990). Mais il est présent aussi en province, à Langres, au salon de gravure de Bayeux de 85 à 91, à la Biennale de gravure de Mulhouse (78, 80), à Digne (82), au salon de Béziers (92)…
De même, il participe à des expositions collectives à l’étranger, à Venise (1983), à Athènes (1990), en Pologne (1991), à Tokyo (1994) et Belgrade (1996).
Il est proche à un moment donné du groupe des Visionnaires (Desmazières, Doaré, Rubel...), exposant avec eux à Honfleur notamment et ailleurs.
Il tire ses gravures à l’atelier ALMA, groupement de graveurs lyonnais installé rue de l’Alma puis rue Burdeau à La Croix-Rousse, à la fondation duquel il a participé (1975). Il y croise Laurence Clair, Christine Crozat, … et Bernard Rouyard, son condisciple de l’Ecole des beaux-arts, avec lequel il entretient de fortes relations d’amitié, et dans l’atelier de qui il imprimait, ces dernières années, ses estampes et où nous l’avions rencontré. Il participe à plusieurs des expositions organisées par le groupe (79, 83, 85, 89). En 1991, date à laquelle l’association se déplace vers le Fort du Bruissin, il est à l’exposition intitulée « Adieu Burdeau ». Sa dernière participation à l’atelier ALMA se situe en 1992 pour un exposition du groupe au château de Voguë.
En 1980, ses estampes sont accrochées à l’exposition « Taille douce, La mémoire du geste », organisée par l’ ELAC, avec les principaux graveurs de la région Rhône-Alpes. Il reçoit en 1986 le prix du salon de la gravure originale de Bayeux et sera invité d'honneur en 1987.
On le trouve de manière assez étonnante en 1988 parmi les artistes nominés pour la première exposition de l’association GRAViX en hommage au fondateur Alain Le Bret, à la galerie parisienne de Michèle Broutta, en compagnie de Pierre Colin et de Bruno Yvonnet. Comme dans une exposition collective, intitulée « 10 jeunes graveurs français », au Musée national de l’estampe à Mexico (1989). C’est l’atelier René Tazé qui alors imprime ses plaques.
En 1997, il est retenu pour faire partie de l’exposition « Graveurs québécois et rhônalpins », au Musée de l’Imprimerie de Lyon, qui sera reprise à Montréal en 1998.
Ainsi entre 1976 et la fin des années 90, il est présent dans plusieurs manifestations chaque année. A consulter la liste de ses expositions, il semble que 1990 constitue le sommet de sa carrière artistique, puisque cette année-là une douzaine d’expositions montrent son travail. Avec les années 2000, les participations sont plus rares, même s' il reste un habitué régulier du salon du Sud-est de 2006 à 2022.
Dans sa gravure, il a, si je puis dire, creusé un sillon bien particulier.
D’abord en choisissant le burin. La technique la plus ancienne de la gravure, brillamment illustrée au XVIème siècle par Dürer ou Aldegrever. Le burin constituait jusqu’au milieu du XIXème siècle le moyen le plus noble de faire de la gravure. Le fameux prix de Rome de gravure, sommet des études de Beaux-Arts, exige le burin avant que l’eau-forte, redécouverte au cours de ce même siècle, ne le supplante. « J’ai fait du burin parce que j’ai raté complètement ma première plaque » nous avait-il dit dans une conversation en 2016. Pourquoi pas ? Avec le burin, le graveur s’apparente à l’orfèvre, il maîtrise complètement la taille, n’est pas tributaire des bains d’acide… Le burin, sans doute, par la lenteur du travail, sa rigueur, convenait mieux à son esprit réfléchi, refusant la part d’incertitude et d’aléatoire que donne l’utilisation de l’eau-forte.
Admirateur de Henri Georges Adam (1904-1967) ou Jaques Villon (1875-1963), il a commencé par des planches caractérisées par un austère et assez impersonnel trait cubiste. Mais il a assez vite trouvé son style : la main arrondit le trait, l’assouplit. L’artiste découvre les beautés des lentes et douces ondulations du travail avec la plaque.
Ensuite par ces sujets. Pour ce que nous connaissons de son oeuvre gravé, J.M. Reymond n’a guère varié : dès ses débuts, par exemple pour l’exposition Mémoire du geste (ELAC 1980), les estampes, qui portent toujours un titre évocateur (Femme oiseau, Souche dressée, Bouzigues, Grand nu allongé), combinent les thèmes qui seront les siens par la suite jusqu’à sa disparition. Au commencement, il y a le végétal. La nature, avec ses rondeurs, ses aspérités, ses pleins et ses déliés, son immobilité et son mouvement, l’autorise à rêver. Les formes inventives de l’arbre et de son écorce le fascinent. Plus rarement, ce sont les ondulations de la chanterelle, ou les formes tourmentées d’une plante sous-marine qui suscitent l’émerveillement.
J.M. Reymond ne connaissait pas les Métamorphoses d’Ovide, mais on imagine sans peine qu’il aurait pu illustrer la grande oeuvre latine. Car de ces formes naturelles, naissent ses rêveries, mieux ses « fantasmes », mot qui sert au titre de plusieurs estampes. Si les plis et replis de l’écorce d’arbre peuvent devenir vagues de tempête, le plus souvent le tronc d’arbre avec ses torsions, sa souplesse, son élancement, appelle le rapprochement, c’est à dire la métaphore, avec la femme, ou plutôt avec une ébauche, un soupçon de corps féminin. L’artiste en effet se contente de suggérer un mouvement de torse, la forme d’un bras, d’un sexe même, comme dans Fantasme mycologique, 1989. La métamorphose en train de se faire, pourrait-on dire, semble retenue, ne va jamais jusqu’au bout. Cette présence féminine fantasmée dont on ne voit jamais la tête, rarement les jambes, ne prend jamais totalement la forme d’une femme. Parfois aussi le rapprochement est si peu visible qu’il demande une lente observation des traits de burin, une pénétration subtile de l’univers représenté. Il faut lire dans cette retenue un autre signe de la discrétion de l’artiste. Une discrétion qui, hélas, ne facilite pas la survie de l’oeuvre.
Mais cet entremêlement complexe de troncs fragmentés et de corps tordus qui suscitent une émotion qui peut aller jusqu'au malaise, semblent les témoins d’un trouble intérieur. Derrière la discrétion et les silences de l’homme se cachait sans doute un esprit tourmenté, profondément malmené par des démons si profondément, si banalement humains.
Ph. Brunel