20 mars 2020.   (Journal des confins).

Déplacement

"Baudelaire", par Manet, 1865.
"Baudelaire", par Manet, 1865.

Feuilleté Les Fleurs du Mal, dans l’espoir d’y trouver des vers, sinon apotropaïques (1), du moins consolateurs. Faible moisson. Le chant de notre poète national plonge dans les ténèbres plus souvent qu’il ne s’élève vers la lumière. Brrr ! Néanmoins, ce poème-ci, où il est question de "confins" et de "miasmes", nous invite à un déplacement d’un autre type, un peu plus difficile, celui qu’un regard différent permet et que tout le monde pourrait cultiver.

 

 

 

Et après avoir terminé ce post hier soir (oui, j’ai un jour d’avance, pour l'instant) et fermé l’ordinateur, dans ma lecture de chevet, je tombe, saisi par la coïncidence, sur cette phrase  : « Le seul véritable voyage, le seul bain de Jouvence, ce ne serait pas d’aller vers de nouveaux paysages, mais d’avoir d’autres yeux, de voir l’univers avec les yeux d’un autre, de cent autres, de voir les cent univers que chacun d’eux voit, que chacun d’eux est ; et cela nous le pouvons, avec un Elstir, avec un Vinteuil, avec leurs pareils, nous volons vraiment d’étoiles en étoiles ». (Proust, La Prisonnière.)

C’est pas beau, ça ? 

 

 

                          Élévation

 

Au-dessus des étangs, au-dessus des vallées,

Des montagnes, des bois, des nuages, des mers,

Par delà le soleil, par delà les éthers,

Par delà les confins des sphères étoilées,

 

Mon esprit, tu te meus avec agilité,

Et, comme un bon nageur qui se pâme dans l'onde,

Tu sillonnes gaiement l'immensité profonde

Avec une indicible et mâle volupté.

 

Envole-toi bien loin de ces miasmes morbides ;

Va te purifier dans l'air supérieur,

Et bois, comme une pure et divine liqueur,

Le feu clair qui remplit les espaces limpides.

 

Derrière les ennuis et les vastes chagrins

Qui chargent de leur poids l'existence brumeuse,

Heureux celui qui peut d'une aile vigoureuse

S'élancer vers les champs lumineux et sereins ;

 

Celui dont les pensers, comme des alouettes,

Vers les cieux le matin prennent un libre essor,

- Qui plane sur la vie, et comprend sans effort

Le langage des fleurs et des choses muettes !

 

 

 

Note 1 :

J’entends le lecteur impatienté : « Ah quel pédant, ce type ! Pas même dans le dico son apo trop machin… I peut pas dire les choses simplement  ! « qui détourne le danger », c’est pas plus clair, non ? Déjà que le Baudelaire…! » (2)

 

Note 2 :

Je prends conscience que l’exercice en cours (à cause de sa fréquence même, et de la présence tout à coup plus proche des lecteurs) entraîne mon clavier à du laisser-aller : il s'autorise des traces de langue familière. On va tenter de le faire filer droit, le bougre. Demain, ce sera du sérieux.