4 mai 2020
Ce qui m’horripile le plus quand on évoque les collectionneurs d’art est l’idée qu’ils ont du flair. C’est bon pour les reconstructions a posteriori, ça !
En réalité, une collection, sauf si elle résulte de la volonté d’un amateur fortuné, investisseur dans l’âme, qui utilise pour cela des moyens considérables et les conseils de spécialistes, se constitue d’abord avec le hasard. Il faut du temps pour décider d’axes, de thématiques, pour choisir qui et quoi entre ou n’entre pas… Et malgré le temps, on se trompe le plus souvent si l’on escompte de tous ses emballements un profit futur.
Petiet a été un collectionneur et un marchand considérable… A feuilleter les catalogues de la vente de sa collection (sept vacations entre juin 2007 et juin 2011), on trouve quantité de chefs-d’oeuvre de Manet, Pissarro, Picasso, Matisse, Gauguin, Renoir, Valloton, et de tous les grands artistes entre 1820 et 1970. On trouve aussi nombre de pièces d’artistes respectables, mais bien moins connus (Dunoyer de Segonzac, Laboureur), et d’autres qui ont été appréciés un temps et qu’on a plus ou moins oubliés (Asselin, Dubreuil, Dufresne, Deville, Robert, Bonfils…).
Un autre connaisseur comme Georges Besson, dont la collection se trouve dans les musées de Besançon et de Bagnols-sur-Céze avec de grands noms (Van Dongen, Renoir, Marquet, Matisse, Bonnard, Maillol, Valadon…) était convaincu de défendre l’art de demain en collectionnant ses contemporains Bardone, Genis, Colomb, Desnoyer, Lesieur.
D’ailleurs le flair ne suffit pas non plus, sans le nerf de la guerre.
Chocquet, le défenseur des impressionnistes (31 Cézanne, 5 Manet, 9 Monet, 10 Renoir, etc.) un vrai champion du flair, lui. On le présente toujours comme un « petit fonctionnaire des douanes » (ce que j’ai longtemps cru) pour en faire valoir le mérite. Les impressionnistes eux-mêmes parlent de lui comme du « père Chocquet », avec une familiarité de petits jeunes pour un grand-père. Il est en fait l’héritier d’un industriel du Nord, et « tout jeune il avait acheté un ensemble d’oeuvres de Delacroix » et « habitait un petit appartement, rue de Rivoli, ayant vue sur le jardin des Tuileries » (1) !
- Mais quoi, toi, tu es fonctionnaire et tu habites un petit appartement quai de S… , non ?
1 Citations tirées de la notice introductive de la vente posthume de sa collection en 1899, dont on trouve le catalogue sur Gallica.