25 mars 2020 (Journal des confins).

Sur une vue de Lyon

La semaine dernière, j’évoquais en passant Turner. Le catalogue de l’exposition « Turner en France » (Centre culturel du Marais, 1981) présente cette vue de Lyon sur laquelle on peut s’arrêter. Elle mesure 24,1 centimètres par 30,5. Probablement créée dans les années 1845, d’après les spécialistes. On sait par ailleurs que la dernière visite de Turner à Lyon date de 1829, à son retour de Rome.  

On n’a aucun dessin préparatoire comme ceux que l’on trouve dans les carnets de croquis, même s’il s’est référé sans doute à des dessins faits lors d’un retour d’Italie au début de 1820, qui montre des vues de la ville avec le fleuve et des ponts à arches multiples. Sur une page, il note même les « onze arches » d’un pont unique.  Mais ici ce n’est pas une vue topographique de la ville. Plus une évocation poétique, lyrique même.

Si lyrique qu’il est difficile pour nous aujourd’hui de nous y retrouver. Qu’est-ce que je vois ? Sous la lumière aveuglante du plein soleil de midi, une église à deux tours et une flèche, une barge de blanchisseuses (ou un moulin) comme il en existait sur la Saône et le Rhône, où l’on devine des personnes en activité, reliée à la rive par une passerelle de bois, un pont de pierre, le pont du Change (qui se trouvait entre Saint Nizier et la place du Change, démoli en 1842), et de chaque côté des immeubles esquissés, plus lointains à droite qu’à gauche. A priori donc une vue de Lyon prise du Sud, d’un endroit situé rive droite au niveau de l’actuel pont Bonaparte. On croit reconnaître au premier plan à gauche, le bâtiment qui abrite aujourd’hui la bibliothèque Saint-Jean avec sa tourelle à l’angle de la rue Adolphe Max et du quai. Bon. Mais le soleil ? Et cette église avec deux tours et ce qui semble une flèche, Saint-Jean vraiment ? cette barge qui n’en finit pas ?

En réalité, peu importe. Il faut surtout se laisser porter par la magie flottante des formes et des couleurs. Et je l’avoue, avec ce Lyon-là, je vole vers l’Italie, vers Rome, dont je retrouve les teintes d’ocre et de carmin, même si la Saône n’est pas le Tibre.