3 avril 2019

Angèle Delasalle, graveure oubliée.

Il n’est pas habituel dans ces pages qu’il soit question d’un(e) artiste sans lien avec le quart sud-est du pays.  Le site rhonestampe.fr s'efforce de présenter les artistes disparus, les oubliés ou les négligés, ceux de Genève à Marseille, pourrait-on dire, et de mettre leur oeuvre en valeur. Par choix de collectionneur aussi, j’ai souvent pris fait et cause pour les artistes locaux, trop souvent négligés par le marché national, ou disons-le, parisien. 

Mais on pourrait à juste titre m’opposer la phrase célèbre du Dom Juan de Molière : « La belle chose de vouloir se piquer d'un faux honneur d'être fidèle, de s'ensevelir pour toujours dans UNE passion, et d'être mort dès sa jeunesse à toutes les autres beautés qui nous peuvent frapper les yeux ! ». Toutes les estampes du monde méritent en effet d’être regardées…

Et c’est donc une entorse à mes principes qui me fait parler ici d’Angèle Delasalle (1867-1939), illustre inconnue, parisienne de surcroît, à qui je consacre une page. Le collectionneur a beau, au fil du temps, affiner ses goûts et ses choix, limiter son champ d’action, se donner des règles, il ne peut rien contre le coup de coeur. Il suffit d'un rien pour déroger à ses habitudes : un nom, un lieu, un motif, la séduction d’un trait, une composition harmonieuse, la trace d’un métier sûr… D'ailleurs, même si Angèle Delasalle n'a pas d'attaches connues avec le sud-est de la France, elle entre dans une catégorie d'artistes dont je cherche les oeuvres depuis longtemps : elle est une artiste femme.

 

Le nom Angèle Delasalle (1867-1939), artiste peintre et graveure, ne dit rien à personne. Ou presque. Elle mérite pourtant notre attention. Car elles ne sont pas si nombreuses celles qui, entre la deuxième moitié du XIXème et les premières années du  XXème, ont revendiqué la condition d'artiste : pour l'essentiel, on connaît, au plan national, Berthe Morisot (1841-1895), Eva Gonzalès (1843-1883), Mary Cassat (1844-1926), Suzanne Valadon (1865-1938). Les artistes oubliées sont autant de feuilles mortes… « Et le vent du nord les emporte / Dans la nuit froide de l’oubli » comme l’écrivait Prévert. 

Anglèle Delasalle donc. De la même génération que celles-ci. Née à Paris et morte à Saint-Martin de Ré. Selon le Benezit, unique source biographique, elle est élève, à l'académie Julian, de Jean-Paul Laurens, Benjamin-Constant, et Jules Lefebvre. Elle expose d'abord des peintures au Salon des artistes français à partir de 1894. En 1899, son tableau Un soir à Saint-Cloud lui permet de décrocher une bourse de voyage ; elle découvre l'Italie, puis la Hollande où elle rencontre les gravures de Rembrandt, qui produisent sur elle une forte impression. Elle complète son voyage par un séjour en Angleterre en 1902 et expose à Londres, aux Grafton Galleries, des vues de la capitale anglaise. Elle fait partie enfin, dans les années 1900, des artistes de galerie Georges Petit. 

Dans un article de la Gazette des Beaux-Arts du 1er octobre 1912, « Peintres-graveurs contemporains - Angèle Delasalle» , Raymond Escholier, journaliste, jeune critique d’art alors,  consacre une dizaine de pages élogieuses à notre artiste.  On y voit les centres d’intérêt de la peintre : les paysages, les scènes de la vie ouvrière, les portraits pour lesquels elle est reconnue, les nus, les animaux. Retraçant son itinéraire pictural, suivant ses influences - Rembrandt, Turner, les Vénitiens, Velasquez - , il montre son goût pour le clair obscur, les atmosphères vaporeuses, et son effort pour gagner la simplification qui fait les vrais artistes, l’éclaircissement de sa palette.  Il conclut ainsi : «  Dès aujourd'hui, cependant, il est permis de porter un jugement sur ce talent probe et solide, aussi peu féminin que possible… De la pénombre rayonnante se dégagent des figures rencontrées, des visages connus de bourgeois, d'artistes, d'ouvriers, de grands seigneurs; et chacun a le caractère de sa fonction et de sa race. La recherche du caractère, voilà ce qui, avec le goût de la vie présente, singularise cette peinture toujours plus rude, toujours plus simple, et pourtant toujours plus étudiée. »

Il s’agit d’une artiste qui n’a pas, semble-t-il, considéré la gravure comme une activité vraiment autonome : les vingt-huit estampes exécutées à partir de 1904 et recensées par R. Escholier en 1912, viennent toujours en complément des peintures, n’en sont que la traduction à l’usage du plus grand nombre. De là le fait qu’elle les ait souvent publiées dans la Gazette des Beaux-Arts, ou dans la Revue de l'art ancien et moderne. Voir le catalogue de l'oeuvre.