19 mars 2020. (Journal des confins).

Chut !

D’ordinaire mes fenêtres qui donnent sur une voie passante à trois voies de circulation automobile ne peuvent pas demeurer ouvertes : les particules fines ( jolie expression pour désigner des poisons lents et pernicieux aussi dangereux que le truc qui se termine par 19) et les nuisances sonores (encore un euphémisme pour le vacarme irrégulier et terrible des moteurs et roulements des automobiles), toutes choses menaçantes pour l’équilibre physique et psychique de tout être normalement constitué sont des interdictions à mettre le nez dehors autrement plus fortes que des amendes de 135 euros.

Mais ces jours-ci, elles restent ouvertes : elles font surtout entrer, avec le soleil, le silence. Voilà t’y pas, ma bonne dame, qu’on entend le pas des passants sur la terre de l’allée, les exclamations et les rires des enfants qui courent, les conversations des parents surveillant leurs mioches, et le coucou qui pousse son appel monotone dans l’air calme, par-dessus les branches.

Ce silence-là, si exceptionnel, certaines oeuvres sont capables de le faire entendre à plaisir. Il me suffit de les prendre en main, et de les regarder (et quand j’écris « regarder, » je ne veux pas dire « jeter un coup d’oeil » comme nous faisons ordinairement sur le flux d’images qui nous environne). Il en est ainsi avec ce Soleil couchant Port d’Anvers de Jongkind (1868), dont on a souvent dit qu’elle était la première gravure impressionniste. 

Et il suffit d’un rien pour que mon émotion soit différente : La Baie de Naples de Marquet, où l’on pourrait aussi entendre le silence (une barque, des bateaux immobiles, une mer calme) évoque pour moi tout autre chose, et suggère des sensations d’un autre ordre.